De nouveaux capteurs de couleurs

Les capteurs photographiques actuels utilisés dans les appareils photos et caméras numériques sont des photodiodes en silicium sensibles à un large spectre de couleurs. Pour enregistrer des images en couleur, on place devant ces capteurs des filtres de couleur qui sont disposés en matrice et qui attribuent à des pixels donnés  l’une des trois couleurs principales , rouge, vert, bleu, dont l’addition permet de reconstituer toutes les couleurs du spectre visible. Ces filtres sont disposés en matrice de Bayer.

Une matrice de Bayer est une matrice de filtres de couleur placée devant les capteurs sensibles à la lumière. Chacun des filtres ne laisse passer qu’une seule des composantes RVB (rouge, vert, bleu) de la lumière. Pour imiter la sensibilité aux couleurs de l’œil humain, on dispose 50%de filtres verts, 25% de filtres rouges et 25% de filtres bleus. La figure ci-dessous représente un telle matrice de bayer. Chaque carré gris représente un capteur donc un pixel de l’image.Cette technologie actuellement utilisée dans la presque totalité des caméras couleur présente des défauts,  pertes dues à l’absorption de lumière dans les filtres et  effets d’interférences (moiré) entre pixels adjacents.
Crédit Wikipedia CCA 3.0 Cburnett

La résolution de capteurs à matrice de Bayer est 4 fois plus faible que celle de ceux à pixels monochromes. En effet, pour définir un élément de couleur de l’image, il faut utiliser quatre pixels au lieu d’un seul en monochrome. On perd aussi forcément  en intensité lumineuse 1/3 du flux lumineux total puisque chaque filtre de couleur laisse passer la part de flux correspondant à sa couleur et bloque les deux autres couleurs en les absorbant. D’autre part, il faut prévoir un programme pour analyser la mosaïque et il peut se produire des phénomènes d’interférences (moiré) entre pixels adjacents.

On a donc assez tôt envisagé d’utiliser  des structures superposées qui seraient sensibles chacune à une seule couleur et laisseraient passer les deux autres. Chaque couche réaliserait ainsi à la fois l’absorption et la détection d’une composante de couleur en laissant passer les autres.
C’est ce qu’une équipe de chercheurs de l’ETH, Zürich, de  l’Empa, Dübendorf, en Suisse,  et de l’Institut de Physique de l’Académie  Nationale des Sciences,  Kiev, Ukraine a réalisé en utilisant les nouveaux matériaux semi-conducteurs que sont les perovskites (cf 16 Jan 2017 Des cellules solaires en pérovskite atteignent un rendement de 20%).
Ils ont utilisé un empilement vertical (Fig.1.a) de trois perovskites qui constituent à la fois chacune une couche sensible à la lumière et un filtre pour les couches du dessous. Ces perovskites sont obtenues par croissance en solution et sont de formule générale MAPbX3 où MA = CH3NH3+ et X = Cl, et Br/I.
Ce photo-détecteur se compose  de trois couches : une couche supérieure de MAPbCl3 sensible au bleu, une couche médiane de MAPbBr3 sensible au vert et enfin une couche de MAPb(Br/I)3 sensible au rouge.

Fig.1. Le nouveau détecteur de couleur empilé
a) Schéma du senseur de couleur à structure empilée où les capteurs jouent à la fois le rôle de détecteurs actifs et de filtres pour les couches inférieures. Les couleurs indiquent la bande de couleur absorbée et non les couleurs réelles des composants.
b) Mesure de la transmission de la lumière par chaque perovskite utilisée dans un empilement. En abscisse figure l’énergie correspondant à la longueur d’onde de la lumière. Chaque couche de détecteur absorbe une part du spectre de la lumière incidente et en laisse passer le reste. MAPbCl3 absorbe la lumière bleue, MAPbBr3 absorbe la lumière verte résiduelle et MAPb(Br/I)3 absorbe le reste de la lumière du spectre visible. La fraction infrarouge n’est pas absorbée.
c) Photographies, respectivement de gauche à droite, de monocristaux de MAPbCl3, MAPbBr3, MAPb(Br/I)3 qu’on a obtenus par croissance en solution non aqueuse.
Adapté de Non-dissipative internal optical filtering with solution grown
perovskite single crystals for full-colour imaging
Sergii Yakunin, Yevhen Shynkarenko, Dmitry N Dirin, Ihor Cherniukh and Maksym V Kovalenko , NPG Asia Materials (2017) 9, e431. CCA 4.0.

On fabrique très facilement des monocristaux de  perovskite MAPbX3  par croissance  à partir de solutions dans du diméthylformaldéhyde. En faisant varier la quantité d’halogène X, on peut ajuster  finement la bande d’absorption du composé. Afin de prouver la fiabilité des perovskites au plomb et halogène, les scientifiques ont construit un prototype, simple assemblage de trois couches de perovskite : une couche de MAPbCl3 au sommet, une couche médiane de MAPbBr3 et une couche inférieure de MAPb(Br/I). Ces couches sont isolées les unes des autres par des films de polymères (Fig.2a). L’ensemble représente un détecteur d’un pixel.

Fig.2. Prototype du photo-détecteur
a) Schéma du prototype de photo-détecteur empilé avec ses connexions électriques.
b) Photographie du prototype monté sur un support de circuit intégré.
c) Photo conductivité en fonction de la longueur d’onde des trois couches de perovskites du prototype de photo-détecteur. Les spectres de chacun ne se recouvrent pas, ce qui prouve l’effet de filtrage d’une couche à l’autre._
Tiré de Non-dissipative internal optical filtering with solution grown perovskite single crystals for full-colour imaging
Sergii Yakunin, Yevhen Shynkarenko, Dmitry N Dirin, Ihor Cherniukh and Maksym V Kovalenko , NPG Asia Materials (2017) 9, e431. CCA 4.0.

La sensibilité des détecteurs en perovskite est de l’ordre de celle des détecteurs silicium (cf blog 16 Jan 2017). L’épaisseur des fims minces de perovskites (quelques centaines de nanomètres) est bien plus faible que celle des  détecteurs silicium (10µm au minimum) ce qui permet  de réaliser un empilement  fin.
Le seul photodétecteur à empilement commercialisé actuellement utilise des couches de silicium dopées différemment. Cette technologie est coûteuse comparée à celle des perovskites. En outre une fraction de la lumière rouge et de la lumière verte est  absorbée dans les couches supérieures, ce qui entraîne une perte substantielle de sensibilité et un brouillage des couleurs.
Les photodétecteurs en perovskites représentent une alternative très prometteuse aux détecteurs en Si empilé en raison de leur bon marché, de leur facilité à croître en films minces monocristallins. Un fort coefficient d’absorption de la lumière permet de diminuer l’épaisseur de la couche nécessaire pour le filtrage aussi bien que pour la photodétection. Or les coefficients d’absorption des perovskites MAPbX ont presque tous un ordre de grandeur de plus que ceux du silicium. Le prototype de détecteur réalisé a fourni des images à deux dimensions avec une excellente résolution des couleurs. Les détecteurs à couches empilées ont nombre d’avantages par rapport aux systèmes classiques dissipatifs à matrice de Bayer. On peut penser qu’en un proche avenir, ils pourraient supplanter ces derniers.

Pour en savoir plus :
Non-dissipative internal optical filtering with solution grown perovskite single crystals for full-colour imaging
Sergii Yakunin, Yevhen Shynkarenko, Dmitry N Dirin, Ihor Cherniukh and Maksym V Kovalenko ,
NPG Asia Materials (2017) 9, e431.