Du venin d’escargots marins à un substitut de la morphine ?

Les escargots marins de la famille des Conidae sont des prédateurs venimeux parfois dangereux même pour l’homme. Les venins de certains d’entre eux ont des propriétés analgésiques comparables à celles de la morphine, mais sans effets secondaires.
Une équipe internationale de chercheurs (University of Copenhagen, Danemark, University of Utah, Salt Lake City, University of New York, USA, University of the Philippines, Philippines) a étudié de nombreuses espèces de Conidés qui s’attaquent aux poissons.
Les venins qu’ils utilisent présentent des analogies avec la Somostatine -14 (SS), une hormone peptide humaine qui a divers rôles physiologiques. Un analogue de synthèse est utilisé en médecine pour inhiber des sécrétions du tractus digestif comme, par exemple, le suc gastrique (sécrétion chlorhydropeptique) ou celui du pancréas

Les gastéropodes chasseurs de poissons

Parmi le millier d’espèces de gastéropodes marins, on distingue ceux qui chassent d’autres gastéropodes, ceux qui chassent des vers marins et enfin ceux, au nombre de 150 espèces environ, qui chassent les poissons.
C’est parmi celles-ci que les chercheurs ont entrepris d’étudier les venins.
La Fig. 1. est une photo donnant une idée de ce que sont ces gastéropodes. Il s’agit ici d’un Conus textilus, habitant dans les profondeurs de la grande Barrière de Corail d’Australie.

 

Fig.1 Photo de Conus textilus Observer le "pied" débordant de la coquille qui sert à l'animal à se déplacer. Noter aussi le siphon à l'extrémité rouge, recouvert de récepteurs chimiques, il joue le rôle d’un organe sensoriel.

Fig.1 Photo de Conus textilus
Observer le « pied » débordant de la coquille qui sert à l’animal à se
déplacer. Noter aussi le siphon à l’extrémité rouge, recouvert de récepteurs chimiques, il joue le rôle d’un organe sensoriel. Copyright (c) 2005 Richard Ling. GNU Free Documentation License.

 

L’évolution au cours des âges a entraîné chez ces conidés l’existence de trois modes de prédation avec des venins adaptés (Fig.2. à droite).

Fig.2. Différentes stratégies de prédation pour divers clades d'escargots marins chasseurs de poissons. A gauche : 8 espéces de conidés 1: Conus radiatus, 2: Conus sulcatus, 3: Conus pergrandis, 4: Conus geographus, 5: Conus kinoshitai, 6: Conus magus, 7: Conus ermineus, 8: Conus bullatus Les noms en gras à gauche sont ceux des clades auxquels ils appartiennent. A droite : Images de 3 stratégies de prédation pour trois espèces [de haut en bas : C. neocostatus (clade Asprella), C. geographus (clade Gastridium), and C. bullatus (clade Textilia)] Tiré de Somatostatin venom analogs evolved by fish-hunting cone snails: From prey capture behavior to identifying drug leads Iris Bea L. Ramiro , Walden E. Bjørn-Yoshimoto, Julita S. ImperialJoanna Gajewiak, Paula Flórez Salcedo, Maren Watkins, Dylan Taylor, William Resager, Beatrix Ueberheide, Hans Bräuner-Osborne, Frank G. Whitby, Christopher P. Hill Laurent F. Martin, Amol Patwardhan, Gisela P. ConcepcionBaldomero M. Olivera and Helena Safavi-Hemami Science Advances • 23 Mar 2022 • Vol 8, Issue 12 • Photos Dylan Taylor and Baldomero M. Olivera, University of Utah. License 4.0 (CC BY-NC).

Fig.2. Différentes stratégies de prédation pour divers clades d’escargots marins chasseurs de poissons.
A gauche : 8 espéces de conidés 1: Conus radiatus, 2: Conus sulcatus, 3: Conus pergrandis, 4: Conus geographus, 5: Conus kinoshitai, 6: Conus magus, 7: Conus ermineus, 8: Conus bullatus Les noms en gras à gauche sont ceux des clades auxquels ils appartiennent.
A droite : Images de 3 stratégies de prédation pour trois espèces
[de haut en bas : C. neocostatus (clade Asprella), C. geographus (clade Gastridium), and C. bullatus (clade Textilia)]
Tiré de Somatostatin venom analogs evolved by fish-hunting cone snails: From prey capture behavior to identifying drug leads
Iris Bea L. Ramiro , Walden E. Bjørn-Yoshimoto, Julita S. ImperialJoanna Gajewiak, Paula Flórez Salcedo, Maren Watkins, Dylan Taylor, William Resager, Beatrix Ueberheide, Hans Bräuner-Osborne, Frank G. Whitby, Christopher P. Hill Laurent F. Martin, Amol Patwardhan, Gisela P. ConcepcionBaldomero M. Olivera and Helena Safavi-Hemami
Science Advances • 23 Mar 2022 • Vol 8, Issue 12 •
Photos Dylan Taylor and Baldomero M. Olivera, University of Utah.
License 4.0 (CC BY-NC).

Un clade (du grec ancien : κλάδος / kládos, « branche »), aussi appelé groupe monophylétique, est un groupe d’organismes, vivants(ou fossiles) descendant tous dans l’évolution d’un organisme particulier.

La stratégie de prédation la plus répandue est celle par électrocution chimique rapide et harponnage (Fig.2. à droite, en bas,vidéo 1); Les toxines en cause dans les mécanismes moléculaires la gouvernant ont été caractérisées depuis 1956. Elles ont permis de créer tout un ensemble d’outils pharmacologiques et de drogues, en particulier un calmant autorisé de la douleur chronique.

Une seconde stratégie de prédation, la chasse au filet (Fig.2 à droite au milieu , vidéo 2) n’a été observée que sur 2 espèces : , Conus geographus et Conus tulipa. Les composants du venin sont, dans une première phase, émis dans l’eau . Le poisson visé perd alors de sa sensibilité et est désorienté, ce qui facilite sa capture. On appelle drogue du Nirvana ce venin car le poisson sous son influence semble être sous l’effet de narcotiques. Ses toxines ont eu des applications biomédicales : un outil de diagnostic de désordres immunitaires, une famille d’insulines qui ont été des pistes pour des médicaments à effets rapides pour les diabétiques.
Les chercheurs ont découvert qu’une lignée peu explorée de Conidés des grandes profondeurs, chasseurs de poissons, appartenant au clade Asprella, utilisaient une troisième stratégie, la chasse à l’affût (Fig.2. à droite en haut vidéo 3). A la différence des modes de capture rapides vus plus haut, l’observation directe montre qu’il faut 1 à 3 heures depuis la première frappe jusqu’à ce que la proie soit avalée.

Après l’envenimement dû à la piqûre initiale, le poisson apparaît normal et continue à nager pendant 5 à 15 minutes. L’escargot attend sans réagir à d’autres poissons. Il peut éventuellement faire une deuxième piqûre. Une fois le poisson apparemment mort, il s’approche à l’arrière du poisson et l’ingurgite. Ce processus peut prendre 1 à 3,5 heures depuis la première piqûre.

 

Les trois modes de chasse sont observables sur les trois vidéos suivantes :

 

 

Vidéo 1. Stratégie par électrocution chimique rapide et harponnage.
Conus Bullatus, espèce du clade Textilia attrapant une blennie.

Vidéo 2. Stratégie de chasse au filet. Conus geographus, espèce du clade Gastridium chassant et attrapant un groupe de poissons.

Vidéo 3. Stratégie de chasse à l’affût. Conus neocostatus envenime une blennie, Meiacanthus grammistes.

Vidéos tirées de Somatostatin venom analogs evolved by fish-hunting cone snails: From prey capture behavior to identifying drug leads
Iris Bea L. Ramiro , Walden E. Bjørn-Yoshimoto, Julita S. ImperialJoanna Gajewiak, Paula Flórez Salcedo, Maren Watkins, Dylan Taylor, William Resager, Beatrix Ueberheide, Hans Bräuner-Osborne, Frank G. Whitby, Christopher P. Hill Laurent F. Martin, Amol Patwardhan, Gisela P. ConcepcionBaldomero M. Olivera and Helena Safavi-Hemami
Science Advances • 23 Mar 2022 • Vol 8, Issue 12 • Supp. Materials. License 4.0 (CC BY-NC).

En combinant les observations du troisième mode de capture de proie par le conidé et les effets obtenus sur la souris par l’action des différents composants du venin, l’équipe de chercheurs a caractérisé une nouvelle classe d’analogues de la somatostatine (SS), hormone présente chez les vertébrés.
Ces études ont été faites sur le venin de Conus rolani, une espèce très proche de Conus neocostatus mais qui s’est trouvée en bien plus grand ombre dans les filets des pêcheurs Philippins de l’île de Cebu, d’où proviennent les conidés étudiés.

Le venin de Conus rolani peut fonctionner comme un anti-douleur. Un de ses composant isolé par les chercheurs peut supprimer la douleur chez la souris pendant un temps plus long que ne le fait la morphine. Plus de 100 toxines ont pu être caractérisées dans le venin et synthétisées ensuite. Finalement, une de ces toxines s’est révélée la plus efficace. La composition de ce peptide a été déterminée et sa structure obtenue aux Rayons-X. Il a été nommé Consomatine Ro1
Il a été synthétisé et on a vérifié que son effet sur la souris était identique à celle du venin de Conus rolani.
Le développement lent de l’effet du venin sur les poissons et de celui de Consomatin Ro1 sur la souris explique l’intérêt trouvé à ce peptide comme calmant de la douleur.
La formule chimique de Consomatin Ro1 montre la ressemblance de cette toxine avec la Somatostatine humaine SS-14.
Ceci se voit bien sur la figure 3 ci-dessous :

Fig.3 Séquences d’acides aminés représentant schématiquement la Somatostatine humaine et la Consomatine Ro 1. Les cystéines sont représentées en jaune et les acides aminés en bleu et gris. On peut observer la grande ressemblance entre les deux molécules. Tiré de Somatostatin venom analogs evolved by fish-hunting cone snails: From prey capture behavior to identifying drug leads Iris Bea L. Ramiro , Walden E. Bjørn-Yoshimoto, Julita S. ImperialJoanna Gajewiak, Paula Flórez Salcedo, Maren Watkins, Dylan Taylor, William Resager, Beatrix Ueberheide, Hans Bräuner-Osborne, Frank G. Whitby, Christopher P. Hill Laurent F. Martin, Amol Patwardhan, Gisela P. ConcepcionBaldomero M. Olivera and Helena Safavi-Hemami Science Advances • 23 Mar 2022 • Vol 8, Issue 12 • License 4.0 (CC BY-NC).

Fig.3 Séquences d’acides aminés représentant schématiquement la Somatostatine humaine et la Consomatine Ro 1.
Les cystéines sont représentées en jaune et les acides aminés en bleu et gris. On peut observer la grande ressemblance entre les deux molécules.
Tiré de Somatostatin venom analogs evolved by fish-hunting cone snails: From prey capture behavior to identifying drug leads
Iris Bea L. Ramiro , Walden E. Bjørn-Yoshimoto, Julita S. ImperialJoanna Gajewiak, Paula Flórez Salcedo, Maren Watkins, Dylan Taylor, William Resager, Beatrix Ueberheide, Hans Bräuner-Osborne, Frank G. Whitby, Christopher P. Hill Laurent F. Martin, Amol Patwardhan, Gisela P. ConcepcionBaldomero M. Olivera and Helena Safavi-Hemami
Science Advances • 23 Mar 2022 • Vol 8, Issue 12 •
License 4.0 (CC BY-NC).

 

La découverte des effets d’une protéine du venin de Conus rolani devrait permettre de développer un calmant de la douleur plus efficace que la morphine et, à priori, non addictif. Il a été testé sur la souris. Il faut maintenant passer à des essais sur l’homme.

 

Pour en savoir plus :

 

Somatostatin venom analogs evolved by fish-hunting cone snails: From prey capture behavior to identifying drug leads

Iris Bea L. Ramiro , Walden E. Bjørn-Yoshimoto, Julita S. ImperialJoanna Gajewiak, Paula Flórez Salcedo, Maren Watkins, Dylan Taylor, William Resager, Beatrix Ueberheide, Hans Bräuner-Osborne, Frank G. Whitby, Christopher P. Hill Laurent F. Martin, Amol Patwardhan, Gisela P. ConcepcionBaldomero M. Olivera and Helena Safavi-Hemami

Science Advances • 23 Mar 2022 • Vol 8, Issue 12