La masse du proton remesurée

Les particules élémentaires sont les constituants de base de la matière. Leurs propriétés (masse, charge, etc..) sont les constantes fondamentales utilisées pour décrire la nature dans le modèle standard. Une de celles-ci est la masse  mp  du proton.  Elle intervient dans la valeur de la constante de Rydberg, pilier de la classification des raies spectrales atomiques. La comparaison entre les masses du proton et de l’antiproton  est un des tests de la théorie  de l’antimatière. Des scientifiques allemands travaillant au Max-Planck Institut, Heidelberg, au Centre de recherche sur les ions lourds de Darmstadt, à l’Institut für Physik, Gütenberg-Universität, Mainz, en Allemagne et au RIKEN Laboratory, Wako, Japon viennent de mesurer la masse du proton avec une précision de 32 parties par billion (mille milliards = 1012) trois fois plus élevée que les précédentes mesures.
 

La méthode classique de mesure de la masse d’un ion

Toutes les mesures récentes de la masse du proton reposent sur une technique, commune, l’utilisation de pièges de Penning.

Le piège de Penning permet de stocker des particules chargées dans un volume donné. On les confine dans un volume donné en utilisant un champ magnétique uniforme  et un champ électrique. Le champ magnétique force les particules chargées à décrire des trajectoires hélicoïdales, le champ électrique quadripolaire les empêche de sortir du piège.Le schéma représente un piège de Penning. Les pièces a et b sont les 4 électrodes créant le champ électrique quadripolaire E dont les lignes de champ sont en bleu. Les pièces c représentent le bobinage extérieur créant le champ magnétique uniforme B. On remarque l’orbite parcourue par l’ion • dans le plan perpendiculaire à B.
Crédit Wikipedia Common.

On confine dans un tel piège un  proton (c’est à-dire un atome d’hydrogène ionisé, 1H+ ) et l’on mesure la fréquence de son mouvement orbital dû au champ magnétique, la fréquence cyclotron. Celle-ci dépend du rapport q/m de la charge électrique du protonà sa masse. En effectuant la même mesure sur un ion de référence de masse connue dans le même champ magnétique B, on en tire la masse du proton.
 

La technique optimisée à l’Université Gutenberg à Mainz

L’ion de référence choisi est un ion de forte charge électrique, l’ion carbone (12C6+). On peut relier la masse de cet ion à celle de l’ion 12C qui vaut 12 unités atomiques (u) par définition.

L’unité de masse atomique, de symbole u est une unité adaptée à la masse des atomes et des molécules. Elle ne fait pas partie des unité du Système international (SI) et est définie comme 1/12 de la masse d’un atome de carbone 12C non lié chimiquement , au repos et dans son état fondamental.

Un électro-aimant supraconducteur crée le champ magnétique nécessaire. Une enceinte hermétique scellée refroidie à la température de l’hélium liquide (4 K ) contient à la fois plusieurs pièges utilisés pour la mesure et une source d’ions à faisceau d’électrons qui peut fournir aussi bien l’ion (12C6+) que le proton (Fig .1). Après leur création, les ions sont transférés dans le piège de mesure en déplaçant lentement le potentiel électrostatique de piégeage le long de l’axe du champ magnétique. On éjecte alors tous les ions de ce piège sauf un, un proton ou un ion 12C6+. On le transfère alors dans le piège de stockage I. On refait la même opération pour un ion de l’espèce différente du précédent et on le met dans le piège de stockage II. On peut ainsi transférer au choix un ion d’un piège de stockage au piège de mesure et ceci très rapidement. On effectue ainsi les deux mesures au même endroit à un très faible intervalle de temps.

Fig.1. Disposition du système de pièges
L’ensemble de pièges comprend deux pièges de stockage séparés I et II, un piège de mesure et un piège de référence pour le contrôle du champ magnétique.
Les ions sont créés in situ dans le mini-piège à ions à canon à électrons. En modifiant les potentiels des divers pièges, on peut faire passer les ions des pièges de stockage dans le piège de mesure ; des circuits de détection supraconducteurs pour le proton (en bleu) et pour l’ion carbone (en rouge)permettent d’effectuer des mesures à des configurations identiques de champ électrostatique, ce qui assure une position et un champ magnétique identiques pour le proton et l’ion carbone. On a représenté un temps de l’expérience où l’on mesure la masse du proton, l’ion 12C 6+ étant stocké dans le piège de stockage I. Adapté avec permission de High-Precision Measurement of the Proton’s Atomic Mass, Heiße, F. Köhler-Langes, S. Rau, J. Hou, S. Junck, A. Kracke, A. Mooser,
Quint, S. Ulmer, G. Werth, K. Blaum, and S. Sturm
PHYSICAL REVIEW LETTERS 119, 033001 (2017), 21 JULY 2017

 
Par cryopompage, on crée dans l’enceinte scellée un ultra-vide de 10-17 mbar, ce qui supprime toute interaction des ions étudiés avec des atomes étrangers et allonge le temps de stockage des ions à plusieurs mois, ce qui permet de répéter à volonté les mesures.

Le cryopompage consiste, dans une enceinte préalablement vidée et scellée, à utiliser la condensation ou l’adsorption sur des parois refroidies à très basse température de toutes les molécules de gaz résiduelles qui y restent fixées.

Ces mesures  de très haute précision sur le proton et l’ion 12C6+ permettent de déterminer leurs fréquences cyclotron respectives et d’en déduire la masse du proton mp.
La valeur ainsi obtenue est :
mp = 1.007 276 466 583(15)(29)  u , avec une précision de 32 parties par billion
Elle est trois fois plus précise que la valeur moyenne jusqu’ici recommandée par le CODATA. Les nombres entre parenthèse sont les incertitudes statistique et systématique respectivement.

Le CODATA  (Comité de données pour la science et la technologie) est un organisme interdisciplinaire du Conseil international pour la science (ICSU) qui préconise une liste de valeurs des constantes fondamentales.

La figure 2 ci-dessous  compare la valeur obtenue de mp aux mesures  antérieures.

Fig.2. Comparaison du nouveau résultat aux valeurs antérieures
Le symbole mp représente la nouvelle valeur de la masse du proton.                              Adapté avec permission de High-Precision Measurement of the Proton’s Atomic Mass, Heiße, F. Köhler-Langes, S. Rau, J. Hou, S. Junck, A. Kracke, A. Mooser, W.Quint, S. Ulmer, G. Werth, K. Blaum, and S. Sturm PHYSICAL REVIEW LETTERS 119, 033001 (2017), 21 JULY 2017

Mais surtout la nouvelle valeur est de manière significative plus petite que la valeur standard antérieure.
On peut alors déterminer avec une précision de 43 parties par billion le rapport de la masse du proton mp sur celle me de l’électron. Ce rapport est donc augmenté.
La nouvelle valeur de la masse du proton peut aider à résoudre le problème posé par la divergence observée entre les déterminations des masses de l’ion hélium 3, 3H+ et de l’ion tritium HD+ où D représente le deutérium, isotope naturel de l’hydrogène de masse 2 u. En appliquant la nouvelle valeur, on réduit d’un facteur 2 la divergence. En mesurant avec la nouvelle méthode la masse du noyau du deutérium, les scientifiques allemands pensent pouvoir lever la divergence.
Enfin cette nouvelle valeur aura une application dans les mesures de comparaison de masse entre proton et anti-proton. La théorie actuelle du modèle standard demande en effet que matière et antimatière de la physique des particules ne diffèrent que par la charge et soient de même masse. Que l’on trouve une divergence et il faudra modifier la théorie, sinon celle-ci en sera renforcée.

Pour en savoir plus :
High-Precision Measurement of the Proton’s Atomic Mass, F.Heiße, F. Köhler-Langes, S. Rau, J.Hou, S. Junck, A. Kracke, A. Mooser, W.Quint, S. Ulmer, G. Werth, K. Blaum, and S. Sturm
PHYSICAL REVIEW LETTERS 119, 033001 (2017), 21 JULY 2017