Les formes des colonies de bactéries expliquées par l’asymétrie de leur adhésion

Dans la nature, les microorganismes cherchent à occuper le plus d’espace possible. Sur des interfaces solide-liquide, solide-air ou liquide-air, les bactéries forment des structures variées. Elles peuvent aussi envahir des solides poreux, des tissus biologiques ou encore former un film à la surface de dispositifs médicaux implantés. En étudiant comment se développe une micro-colonie de bactéries,  des chercheurs du Laboratoire de Physique Statistique de l’Ecole Normale Supérieure, de l’Institut Pasteur et des Universités Paris Diderot, UPMC et Grenoble Alpes ont montré que la force d’adhésion à une surface de bactéries en bâtonnets comme Escherichia coli ou Pseudomonias aeruginosa était asymétrique, une extrémité de la bactérie étant plus fortement fixée que le reste. Cette asymétrie induit une tension mécanique qui gouverne le réarrangement des cellules filles  issues de la division cellulaire. Ceci détermine la forme des micro-colonies.
 
Les colonies bactériennes de surface se forment à partir d’une seule bactérie adhérente. Celle-ci subit une division, puis les produits de cette division se divisent à nouveau et ainsi de suite. La vidéo suivante montre un tel processus dans la chambre de culture schématisée sur la Fig.1.a :
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Marie-Cécilia Duvernoy, Thierry Mora, Maxime Ardré, Vincent Croquette, David Bensimon, Catherine Quilliet, Jean-Marc Ghigo, Martial Balland, Christophe Beloin, Sigolène Lecuyer & Nicolas Desprat .
NATURE COMMUNICATIONS | (2018) 9:1120.    CC 4.0.
 
L’adhésion au substrat  intervient dans la morphogenèse des micro-colonies
Escherichia coli est une bactérie extrêmement commune et responsable de nombre d’infections nosocomiales. Les chercheurs ont étudié ses  microcolonies en les faisant se développer entre une lamelle de verre (Fig.1.a) et un gel d’agarose (L’agarose est un  polymère à base d’agar-agar purifié couramment utilisé dans la culture de microorganismes).
Pour caractériser la forme d’une colonie, on trace l’ellipse la contenant  (Fig.1 b) et on définit son rapport d’aspect par le quotient du petit axe b par le grand axe a.

Fig.1. Influence de l’adhésion des bactéries sur la morphogenèse d’une microcolony a)Schéma de la chambre de culture. Les bactéries sont confinées entre une épaisseur d’agarose et une lamelle couvre objet. b) Photo d’une micro-colonie de souche sauvage (SS) d’E. coli après la formation d’une deuxième couche de bactéries. c) Quand le nombre de bactéries d’une micro-colonie dépasse une certaine valeur (N2D/3D), une seconde couche se forme au-dessus de la couche initiale. d) Nombre de bactéries à l’instant de la formation de la seconde couche. Il est plus petit avec la souche sauvage plus adhésive. Tiré de Asymmetric adhesion of rod-shaped bacteria controls microcolony morphogenesis Marie-Cécilia Duvernoy, Thierry Mora, Maxime Ardré, Vincent Croquette, David Bensimon, Catherine Quilliet, Jean-Marc Ghigo, Martial Balland, Christophe Beloin, Sigolène Lecuyer & Nicolas Desprat . CC 4.0. NATURE COMMUNICATIONS | (2018) 9:1120

Fig.1. Influence de l’adhésion des bactéries sur la morphogenèse d’une microcolonie
a) Schéma de la chambre de culture. Les bactéries sont confinées entre une épaisseur d’agarose et une lamelle couvre objet.
b) Photo d’une micro-colonie de souche sauvage (SS) d’E. coli après la formation d’une deuxième couche de bactéries.
c) Quand le nombre de bactéries d’une micro-colonie dépasse une certaine valeur (N2D/3D), une seconde couche se forme au-dessus de la couche initiale.
d) Nombre de bactéries à l’instant de la formation de la seconde couche. Il est plus petit avec la souche sauvage plus adhésive que les mutants.
Tiré de Asymmetric adhesion of rod-shaped bacteria controls microcolony morphogenesis
Marie-Cécilia Duvernoy, Thierry Mora, Maxime Ardré, Vincent Croquette, David Bensimon, Catherine Quilliet, Jean-Marc Ghigo, Martial Balland, Christophe Beloin, Sigolène Lecuyer & Nicolas Desprat . CC 4.0. NATURE COMMUNICATIONS | (2018) 9:1120


Parmi les mutants de la souche sauvage (SS) d’Esterichia coli, deux d’entre eux, Δ4adh et Δ4pol présentent des propriétés d’adhésion plus faibles. Cette diminution de l’adhésion entraîne celle du rapport d’aspect, ce qui correspond à une élongation des micro-colonies.
Par ailleurs, à partir d’un certain nombre de bactéries, une seconde couche de celles-ci se forme au centre de la colonie. Cette transition d’une croissance bi-dimensionnelle (2D) à une tri-dimensionnelle (3D) survient à un nombre de bactéries plus élevé  pour les mutants de faible adhésion (Fig.1.d).
 
 
 

Efforts mécaniques induits par l’asymétrie de l’adhésion à l’échelle d’une bactérie

Pour comprendre le rôle de l’adhésion dans la morphogenèse des micro-colonies, les chercheurs ont fait des expériences sur des bactéries isolées.
En suivant la croissance d’une cellule isolée, on mesure son  élongation et le mouvement de son centre de gravité. On remarque que le centre de gravité se déplace, ce qui n’est possible que si la cellule croît asymétriquement. Ceci peut s’observer sur la vidéo suivante :
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Marie-Cécilia Duvernoy, Thierry Mora, Maxime Ardré, Vincent Croquette, David Bensimon, Catherine Quilliet, Jean-Marc Ghigo, Martial Balland, Christophe Beloin, Sigolène Lecuyer & Nicolas Desprat .  NATURE COMMUNICATIONS | (2018) 9:1120
CC 4.0.
 
Les propriétés d’adhésion ne sont donc pas homogènes ; en effet, c’est à l’une des deux extrémités de la bactérie que l’adhésion est la plus forte.
Pour déterminer à quelle extrémité l’adhésion est maximum, les chercheurs ont suivi les divisions successives de bactéries en pratiquant l’ablation au laser d’une des 2 cellules filles issues d’une division. Ils ont pu montrer que l’adhésion était plus forte à l’extrémité la plus vieille. En mesurant les forces d’adhésion sur des cellules isolées avec un microscope à force atomique, ils ont confirmé que ces forces sont réduites pour certains mutants ; pour ceux-ci, l’asymétrie est plus faible. Tous ces résultats montrent que les bactéries interagissent avec le substrat en des points discrets d’adhésion.
Lors d’une division d’une cellule d’une souche sauvage d’E. coli, les vieilles extrémités  de la bactérie mère sont aux bouts  opposés de la paire de cellules filles. L’adhésion y étant plus forte, les bactéries filles vont grandir en se repoussant, ce qui va donner une instabilité de flambage qui va placer les deux bactéries côte à côte, comme on le voit dans la vidéo suivante :
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Marie-Cécilia Duvernoy, Thierry Mora, Maxime Ardré, Vincent Croquette, David Bensimon, Catherine Quilliet, Jean-Marc Ghigo, Martial Balland, Christophe Beloin, Sigolène Lecuyer & Nicolas Desprat. NATURE COMMUNICATIONS | (2018) 9:1120. CC 4.0.
En suivant les extrémités de chaque bactérie d’une colonie, on a montré que les forces adhésives subissaient une baisse quand une extrémité subissait un brusque déplacement. Les forces restaient plus fortes sur les vieilles extrémités de bactéries tout au long de la croissance de la colonie. La formation d’une seconde couche au centre de la micro-colonie suggère qu’au-dessus d’une certaine taille critique de la colonie l’élongation bactérienne ne peut s’opposer aux forces cumulatives d’adhésion exercées par les bactéries avoisinantes .
Finalement, en utilisant ces résultats sur l’effet de l’adhésion, les scientifiques ont construit un modèle de développement de colonies bactériennes en 2 dimensions qui reproduit la forme d’une micro-colonie  et qui est en bon agrément avec celles observées expérimentalement, comme en témoigne la vidéo suivante :
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Marie-Cécilia Duvernoy, Thierry Mora, Maxime Ardré, Vincent Croquette, David Bensimon, Catherine Quilliet, Jean-Marc Ghigo, Martial Balland, Christophe Beloin, Sigolène Lecuyer & Nicolas Desprat. NATURE COMMUNICATIONS | (2018) 9:1120. CC 4.0.
 
 
 
Cette étude a montré que les forces d’adhésion et leur distribution asymétrique le long de l’enveloppe bactérienne avaient une grande influence sur la forme de la colonie.  Diminuer les forces ou l’asymétrie de leur distribution génère des micro-colonies plus allongées. Au contraire, une plus forte asymétrie génère des colonies plus circulaires. Les colonies bactériennes présentent une grande variété de formes qui vont de celles en filaments à des structures circulaires. Bien que la forme des bactéries en bâtonnets induise une forme allongée, l’asymétrie de l’adhésion introduit un désordre d’orientation qui permet à ces micro-colonies d’être de forme arrondie. La possibilité de prévoir par modèle la croissance de colonies  peut être d’une grande utilité dans la prévention d’infections dues à ces bactéries.
 
 
Pour en savoir plus :
Asymmetric adhesion of rod-shaped bacteria controls microcolony morphogenesis
Marie-Cécilia Duvernoy, Thierry Mora, Maxime Ardré, Vincent Croquette, David Bensimon, Catherine Quilliet, Jean-Marc Ghigo, Martial Balland, Christophe Beloin, Sigolène Lecuyer & Nicolas Desprat.
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