Les peintures anciennes explorées par réflexion infrarouge

Dans la restauration  des peintures anciennes, on utilise pour l’imagerie de nombreuses techniques, rayons X, fluorescence  UV, etc..   Elles  permettent d’établir un diagnostic sur l’état des œuvres et d’obtenir des images précises des surfaces peintes et de leurs couches sous-jacentes. Des chercheurs italiens de Vérone, l’Aquila et Florence proposent une nouvelle méthode,  appelée quasi réflectographie infrarouge, qui est d’utilisation aisée et présente de nombreux avantages.

Fig.1. Schéma de l’appareillage. Il y est figuré un éclaté de la structure typique d’une fresque. Crédit Optics Express OSA.

L’utilisation du rayonnement infrarouge dans le domaine de la conservation artistique permet d’effectuer un examen non destructif d’une œuvre sans la déplacer. On distingue la thermographie qui utilise le seul  rayonnement émis par un objet à la température ambiante et la réflectographie où l’on analyse le rayonnement réfléchi par l’objet illuminé par une source infrarouge.

Le rayonnement infrarouge (IR) est constitué d’ondes électromagnétiques dont les longueurs d’onde (1mm à 0.75 micromètre) sont situées entre celles des hyperfréquences (1m à 1mm) et  du spectre visible(0,75 à 0,39 micromètre).
Tout corps  émet spontanément un rayonnement  dont les longueurs d’onde dépendent de sa température. A  20°C, celles-ci sont comprises entre  1mm et 3 micromètres  mais leur énergie est principalement concentrée entre 14 et 7 micromètres ( dans l’infrarouge lointain), comme on le voit sur la courbe ci-dessous :

Courbe donnant la puissance lumineuse par unité de longueur d’onde émise par un corps à 20°C. Crédit Optics Express OSA.

La réflectographie infrarouge conventionnelle consiste à acquérir des images dans la bande de longueurs d’onde dite proche infrarouge (0,75 à 2,5 µm). Elle permet déjà de révéler des détails sous-jacents à la couche de peinture, comme les dessins préparatoires ou les « repentirs »(parties modifiées par l’artiste lui-même au gré de son inspiration).
Pour mieux mettre en évidence les différents matériaux d’une surface peinte, les chercheurs italiens ont choisi de travailler dans le domaine de l’infrarouge moyen(3-5 μm) en se plaçant dans des conditions de réflectivité stricte.
Le choix de cette bande de longueurs d’onde permet de  pouvoir travailler en réflectivité en s’affranchissant de l’émission infrarouge du tableau due à la température ambiante. Celle-ci est en effet concentrée dans l’infrarouge lointain.
Cette technique est appelée par ses auteurs quasi réflectographie thermique (abrégée en anglais en TQR).
Elle est d’autre part extrêmement simple à réaliser (Fig.1). Une caméra infrarouge sensible dans l’infrarouge moyen sert à la capture de l’image. Comme on doit enregistrer le rayonnement réfléchi, on utilise comme source lumineuse des lampes halogènes sous-alimentées qui émettent  dans la bande choisie et n’entraînent pratiquement pas d’échauffement de la surface.
Le premier usage en a été fait in situ dans la Chapelle de Theodelinda de la cathédrale de Monza, en Italie. Dans celle-ci, actuellement en restauration, se trouve une magnifique fresque du 15e siècle. On peut juger sur la figure 2 de l’intérêt de la nouvelle technique TQR. Les décors en or et argent, grâce à leur fort coefficient de réflexion, sont très bien rendus même dans les régions où, en photographie couleur et en réflectographie en proche infrarouge, ils sont cachés par lés dégradations  ou les repeints. Et les restaurations antérieures qui ont caché les décors dorés sont aisément identifiées. De même l’armure est bien mieux révélée dans l’image TQR ( fig 2c ; regarder près de la main droite du soldat du premier plan) que dans les deux autres images.

Fig.2. Partie d’une fresque de la chapelle de Theodelinda dans la cathédrale de Monza, en Italie. Cette œuvre du quinzième siècle présente diverses techniques de fresques et des décors en or, argent et en relief.
a) photographie couleurs; b) image obtenue en proche infrarouge; c) image obtenue par TQR.
Crédit Optics Express OSA.

 
Pour  démontrer toutes les possibilités de cette méthode d’imagerie, on l’a utilisée aux heures d’ouverture normales du Museo Civico de Sansepolcro (Italie)   pour analyser « La Résurrection » de Pierro della Francesca, célèbre fresque murale peinte à la tempera. La figure 3 montre un détail de cette fresque.

La tempera est une technique de peinture à l’eau utilisée depuis des temps immémoriaux, notamment en Égypte, puis par les peintres d’icônes byzantines, enfin en Europe durant le Moyen Âge. Ce procédé utilise du jaune d’œuf ou de l’œuf entier comme médium pour lier les pigments.

Fig. 3. La Résurrection par Pierro della Francesca. Museo Civico de Sansepolcro, Italie.                    Crédit Wikipedia


A  gauche, image d’un détail  de la fresque précédente obtenue dans le proche infrarouge. A droite, image TQR.  A: retouches visibles. B:  inhomogénéités sur l’armure. C : diverses techniques d’exécution sur l’épée qui ne sont pas perçues en proche infrarouge. D : différentiation de l’arrière-plan plus nette en TQR. E: coefficient de réflexion différent en proche infrarouge et en TQR. Crédit Optics Express OSA.L’utilisation de la bande de  l’infrarouge moyen et d’un éclairage qui laisse le tableau à la température ambiante, (un atout pour sa conservation) entraîne que l’image enregistrée est principalement due à la lumière réfléchie. La technique TQR  permet une bonne différentiation  des pigments, une cartographie précise des décors d’or et d’argent, une meilleure identification (par rapport au proche infrarouge) des retouches et  rajouts et, de façon générale, une meilleure connaissance de la surface des œuvres, où se réfléchit la lumière.

Pour en savoir plus :
Thermal quasi-reflectography: a new imaging tool in art conservation Claudia Daffara, Dario Ambrosini, Luca Pezzati, and Domenica Paoletti. 18 June 2012 / Vol. 20, No. 13 / OPTICS EXPRESS 14746,