Un microscope à intrication quantique
L’extraordinaire phénomène quantique que constitue l’intrication ( cf ce blog : « Prix Nobel de Physique 2022 : L’intrication quantique dans tous ses états ! -28 octobre 2022 » et « Une intrication quantique entre deux lieux distants de 1200 km -3 juillet 2021″ ) a fait l’objet de nombreux travaux théoriques et expérimentaux qui ont conduit à des applications comme la protection de systèmes de communication, la téléportation quantique, le codage super dense, la lithographie à échelle inférieure à la longueur d’onde utilisée et l’imagerie par coïncidence. C’est cette dernière technique que des chercheurs du Caltech Optical Imaging Laboratory, Andrew and Peggy Cherng Department of Medical Engineering, Department of Electrical Engineering, California Institute of Technology, Pasadena CA, USA. ont perfectionnée pour atteindre la résolution maximum théorique.
La microscopie quantique par coïncidence
Un microscope optique peut résoudre des structures d’une taille d’environ la moitié de la longueur d’onde de la lumière utilisée. Ceci correspond à la moitié de la largeur de la tâche de diffraction. On pourrait donc penser qu’il suffit, pour augmenter la résolution, d’utiliser de plus courtes longueurs d’onde de la lumière. Mais ce n’est pas si simple, car ces dernières sont aussi de plus hautes énergies, ce qui peut endommager les objets observés, comme les cellules vivantes et autres matériaux organiques.
Des sources de lumière fournissant des couples de photons intriqués, appelés » biphotons », ont été utilisées dans diverses techniques d’imagerie comme la tomographie par cohérence optique quantique ou la lithographie des circuits intégrés, par exemple, mais l’obtention d’une imagerie quantique à grand champ était obérée par une trop faible résolution, par des vitesses d’acquisitions et des rapports contraste/bruit également peu élevés.
La configuration utilisée par les chercheurs du Caltech, qui équilibre les chemins optiques de chaque photon d’un biphoton et les détecte en coïncidence temporelle, est schématisée sur la figure 1.
Le faisceau laser de longueur d’onde λ attaque un prisme Glan-Taylor GL qui sélectionne une direction de polarisation, puis traverse un système de retard variable (lame demi-onde et lame à retard variable).
Le passage à travers le prisme en BBO fait subir aux photons une conversion paramétrique descendante spontanée qui transforme un photon de longueur d’onde λ en un biphoton, c’est-à-dire deux photons intriqués de longueur d’onde 2λ et de directions de polarisations perpendiculaires. Un séparateur de faisceaux polarisés écarte l’un de l’autre les 2 photons intriqués qui vont alors suivre 2 trajets différents : l’un va passer à travers l’objet à étudier, l’autre, de référence, va suivre un chemin optique de longueur équivalente muni des mêmes composants optiques, miroirs et lentilles.
Finalement, chacun des photons du biphoton est détecté en coïncidence temporelle avec son compagnon d’intrication sur une caméra CCD ultrasensible et les 2 signaux sont traités numériquement en moyennant 2 106 évènements.
Cette méthode permet de s’affranchir des lumières parasites et du bruit optique mais aussi de doubler la résolution spatiale par rapport à l’imagerie classique. Ceci est dû au fait que la corrélation des 2 photons de chaque biphoton équivaut à donner à ce dernier une longueur d’onde moitié de la longueur d’onde de chacun des 2 photons le constituant.
Et pourtant l’objet observé n’est traversé que par une lumière de longueur d’onde 2 λ de densité d’énergie deux fois plus faible que celle du faisceau λ sortant du laser. Ceci permet de ne soumettre l’objet qu’à la moitié de l’énergie que lui infligerait une imagerie classique avec une lumière de longueur d’onde λ.
On peut observer sur la Fig. 2. ci-dessous la différence entre imagerie classique et imagerie quantique par intrication :
Ces progrès en résolution, en atténuation du bruit et de la lumière parasite ont conduit à l’obtention d’images de cellules cancéreuses de référence HeLa qui ne sont pas affectées par la densité d’énergie les traversant. La figure ci-dessous en est un exemple :
Les méthodes d’imagerie quantique existant précédemment n’atteignaient pas une haute résolution en raison d’une faible ouverture de leur système.
Ici la séparation en 2 bras optiques a permis d’utiliser 2 objectifs de forte ouverture pour augmenter la résolution tandis qu’un algorithme plus efficace améliorait la vitesse d’exposition.
Par rapport aux techniques précédentes,les propriétés des biphotons ont permis d’atteindre une résolution double avec des vitesses 5 fois plus grandes,un rapport contraste/bruit 2,6 fois plus élevé et une résistance aux lumières parasites 10 fois plus forte.
Cette microscopie quantique par intrication a permis d’obtenir une résolution de 1,4 µm avec un champ de 100 x 50 µm2 sur des cellules cancéreuses vivantes HeLa.
L’association d’une vitesse d’imagerie améliorée, d’un rapport contraste/bruit augmenté, d’une super résolution et d’une basse intensité lumineuse ouvre une voie d’avenir dans l’imagerie biologique à cette technique.
Pour en savoir plus :
Quantum microscopy of cells at the Heisenberg limit. Zhe He, Yide Zhang, Xin Tong, Lei Li & Lihong V. Wang.
Nature Communications | (2023) 14:2441.