Fig.3 Image de cellules cancéreuses par microscopie à intrication quantique Images, classique (à gauche) et quantique (à droite) de 2 cellules HeLa Barres d’échelle 20 µm. Tiré de Quantum microscopy of cells at the Heisenberg limit Zhe He, Yide Zhang, Xin Tong, Lei Li & Lihong V. Wang. Nature Communications | (2023) 14:2441. CC BY license 4.0

Un microscope à intrication quantique

L’extraordinaire phénomène quantique que constitue l’intrication ( cf  ce blog :  « Prix Nobel de Physique 2022 : L’intrication quantique dans tous ses états ! -28 octobre 2022  » et « Une intrication quantique entre deux lieux distants de 1200 km -3 juillet 2021″ ) a fait l’objet de nombreux travaux théoriques et expérimentaux qui ont conduit à des applications comme la protection de systèmes de communication, la téléportation quantique, le codage super dense, la lithographie à échelle inférieure à la longueur d’onde utilisée et l’imagerie par coïncidence. C’est cette dernière technique que des chercheurs du Caltech Optical Imaging Laboratory, Andrew and Peggy Cherng Department of Medical Engineering, Department of Electrical Engineering, California Institute of Technology, Pasadena CA, USA. ont perfectionnée pour atteindre la résolution maximum théorique.

Rappelons que l’intrication quantique est un phénomène dans lequel deux particules (ou plus) forment un système lié et ont des états quantiques dépendant l’un de l’autre quelle que soit la distance qui les sépare. Il faut alors considérer deux objets quantiques intriqués comme un état quantique unique.

 

La microscopie quantique par coïncidence

 

Un microscope optique peut résoudre des structures d’une taille d’environ la moitié de la longueur d’onde de la lumière utilisée. Ceci correspond à la moitié de la largeur de la tâche de diffraction. On pourrait donc penser qu’il suffit, pour augmenter la résolution, d’utiliser de plus courtes longueurs d’onde de la lumière. Mais ce n’est pas si simple, car ces dernières sont aussi de plus hautes énergies, ce qui peut endommager les objets observés, comme les cellules vivantes et autres matériaux organiques.

Des sources de lumière fournissant des couples de photons intriqués, appelés  » biphotons », ont été utilisées dans diverses techniques d’imagerie comme la tomographie par cohérence optique quantique ou la lithographie des circuits intégrés, par exemple, mais l’obtention d’une imagerie quantique à grand champ était obérée par une trop faible résolution, par des vitesses d’acquisitions et des rapports contraste/bruit également peu élevés.

La configuration utilisée par les chercheurs du Caltech, qui équilibre les chemins optiques de chaque photon d’un biphoton et les détecte en coïncidence temporelle, est schématisée sur la figure 1.

Fig.1. Schéma expérimental du microscope quantique à coïncidence.GL Polariseur laser Glan-Taylor, HWP lame à retard demi-onde, VWP lame à retard variable, BBO cristal de ß-barium borate, BPF filtre passe-bande 532 nm, PBS séparateur de faisceau, EMCCD caméra CCD à multiplicateur d’électrons. Distance focale des lentilles utilisées : f0 = 50 mm, f1 = 180 mm, f2 = 9 mm, f3 = 300 mm et f4 = 200 mm. Tiré de Quantum microscopy of cells at the Heisenberg limit Zhe He, Yide Zhang, Xin Tong, Lei Li & Lihong V. Wang. Nature Communications | (2023) 14:2441. CC BY license 4.0

Fig.1. Schéma expérimental du microscope quantique à coïncidence.
GL Polariseur laser Glan-Taylor, HWP lame à retard demi-onde, VWP lame à retard variable, BBO cristal de ß-barium borate, BPF filtre passe-bande 532 nm, PBS séparateur de faisceau, EMCCD caméra CCD à multiplicateur d’électrons.
Distance focale des lentilles utilisées : f0 = 50 mm, f1 = 180 mm, f2 = 9 mm, f3 = 300 mm et f4 = 200 mm.
Tiré de Quantum microscopy of cells at the Heisenberg limit Zhe He, Yide Zhang, Xin Tong, Lei Li & Lihong V. Wang. Nature Communications | (2023) 14:2441.
CC BY license 4.0

Le faisceau laser de longueur d’onde λ attaque un prisme Glan-Taylor GL qui sélectionne une direction de polarisation, puis traverse un système de retard variable (lame demi-onde et lame à retard variable).

Le passage à travers le prisme en BBO  fait subir aux photons une conversion paramétrique descendante spontanée qui transforme un photon de longueur d’onde λ en un biphoton, c’est-à-dire deux photons intriqués  de longueur d’onde 2λ et de directions de polarisations perpendiculaires. Un séparateur de faisceaux polarisés écarte l’un de l’autre les 2 photons intriqués qui vont alors suivre 2 trajets différents : l’un va passer à travers l’objet à étudier, l’autre, de référence, va suivre un chemin optique de  longueur équivalente muni des mêmes composants optiques, miroirs et lentilles.

Finalement, chacun des photons du biphoton est détecté en coïncidence temporelle avec son compagnon d’intrication sur une caméra CCD ultrasensible et les 2 signaux sont traités numériquement en moyennant 2 106 évènements.
Cette méthode permet de s’affranchir des lumières parasites et du bruit optique mais aussi de doubler la résolution spatiale par rapport à l’imagerie classique. Ceci est dû au fait que la corrélation des 2 photons de chaque biphoton équivaut à donner à ce dernier une longueur d’onde moitié de la longueur d’onde de chacun des 2 photons le constituant.

Et pourtant l’objet observé n’est traversé que par une lumière de longueur d’onde 2 λ  de densité d’énergie deux fois plus faible que celle du faisceau λ  sortant du laser. Ceci permet de ne soumettre l’objet qu’à la moitié de l’énergie que lui infligerait une imagerie classique avec une lumière de longueur d’onde λ.

 

On peut observer sur la Fig. 2. ci-dessous la différence entre imagerie classique et imagerie quantique par intrication  :

Fig.2. Mesure par coïncidence du microscope quantiqueLes 2 figures du haut représentent les photographies obtenues par microscopie classique ( à gauche) et par microscopie quantique par biphotons intriqués de fibres de carbone en présence de lumière parasite. On atteint une intensité de 8 fois celle du laser en utilisant 2 x 106 clichés successifs que l’on moyenne. Les 2 figures du bas représentent les 2 photographies correspondantes pour un micromètre étalon. Elles montrent que les plus hautes résolutions de l’image classique et de celle par microscopie quantique sont respectivement de 2,9 µm et 1,4 µm. ceci indique que la microscopie quantique améliore la résolution spatiale d’un facteur 2. Les barres d’échelle sur les figures valent 20 µm. Tiré de Quantum microscopy of cells at the Heisenberg limit Zhe He, Yide Zhang, Xin Tong, Lei Li & Lihong V. Wang. Nature Communications | (2023) 14:2441. CC BY license 4.0

Fig.2. Mesure par coïncidence du microscope quantique
Les 2 figures du haut représentent les images de fibres de carbone en présence de lumière parasite obtenues par microscopie classique ( à gauche) et par microscopie quantique par biphotons intriqués (à droite). On atteint une intensité de 8 fois celle du laser en utilisant 2 x 106 clichés successifs que l’on moyenne.
Les 2 figures du bas représentent  2 images correspondantes avec pour objet un micromètre étalon.
Elles montrent que les plus hautes résolutions de l’image classique et de celle par microscopie quantique sont respectivement de 2,9 µm et 1,4 µm. Ceci indique que la microscopie quantique améliore la résolution spatiale d’un facteur 2. Les barres d’échelle sur les figures valent 20 µm.
Tiré de Quantum microscopy of cells at the Heisenberg limit Zhe He, Yide Zhang, Xin Tong, Lei Li & Lihong V. Wang. Nature Communications | (2023) 14:2441.
CC BY license 4.0

 

Ces progrès en résolution, en atténuation du bruit et de la lumière parasite ont conduit à l’obtention d’images de cellules cancéreuses de référence HeLa qui ne sont pas affectées par la densité d’énergie les traversant. La figure ci-dessous en est un exemple :

Fig.3 Image de cellules cancéreuses par microscopie à intrication quantiqueImages, classique (à gauche) et quantique (à droite) de 2 cellules HeLa Barres d’échelle 20 µm. Tiré de Quantum microscopy of cells at the Heisenberg limit Zhe He, Yide Zhang, Xin Tong, Lei Li & Lihong V. Wang. Nature Communications | (2023) 14:2441. CC BY license 4.0

Fig.3.  Image de cellules cancéreuses par microscopie à intrication quantique
Images, classique (à gauche) et quantique (à droite) de 2 cellules HeLa.  Barres d’échelle 20 µm.
Tiré de Quantum microscopy of cells at the Heisenberg limit Zhe He, Yide Zhang, Xin Tong, Lei Li & Lihong V. Wang. Nature Communications | (2023) 14:2441.
CC BY license 4.0

 

Les méthodes d’imagerie quantique existant précédemment n’atteignaient pas une haute résolution en raison d’une faible ouverture de leur système.

Ici la séparation en 2 bras optiques a permis d’utiliser 2 objectifs de forte ouverture pour augmenter la résolution tandis qu’un algorithme plus efficace améliorait la vitesse d’exposition.

Par rapport aux techniques précédentes,les propriétés des biphotons ont permis d’atteindre une résolution double avec des vitesses 5 fois plus grandes,un rapport contraste/bruit 2,6 fois plus élevé et une résistance aux lumières parasites 10 fois plus forte.

Cette microscopie quantique par intrication a permis d’obtenir une résolution de 1,4 µm avec un champ de 100 x 50 µm2 sur des cellules cancéreuses vivantes HeLa.

L’association d’une vitesse d’imagerie améliorée, d’un rapport contraste/bruit augmenté, d’une super résolution et d’une basse intensité lumineuse ouvre une voie d’avenir dans l’imagerie biologique à cette technique.

 

 

Pour en savoir plus :

 

Quantum microscopy of cells at the Heisenberg limit.  Zhe He, Yide Zhang, Xin Tong, Lei Li & Lihong V. Wang.
Nature Communications | (2023) 14:2441.