Les neutrinos vont-ils plus vite que la lumière ?

Au CERN, à Genève vendredi 23 septembre 2011, l’annonce par une équipe internationale d’un résultat expérimental surprenant a retenti comme un coup de tonnerre dans la communauté scientifique.

Schéma du faisceau de neutrinos entre le CERN et Gran Sasso. Crédit CNRS Photothèque / FADAY, Jean-Marc

Ces physiciens ont mesuré le temps mis par un faisceau de neutrinos émis au CERN pour atteindre à 730 Km de là, en Italie, le système de détection OPERA installé par l’ INFN(Istituto Nazionale di Fisica Nucleare) dans le laboratoire souterrain (à une profondeur de 1400m) du Gran Sasso. Ils ont alors trouvé que ce temps était inférieur à celui mis par la lumière dans le vide pour parcourir la même distance.


Les neutrinos sont des particules fondamentales. Ils sont électriquement neutres, ont une masse extrêmement faible et interagissent très faiblement avec la matière. Ils sont donc très difficiles à détecter et à étudier. Ces particules ne sont pas rares, bien au contraire, elles sont émises en nombre si grand par le soleil comme sous-produits des réactions nucléaires dont il est le siège qu’il en passe plusieurs millions par seconde à travers notre œil, par exemple.

Le faisceau CNGS (CERN vers Gran Sasso) est produit en accélérant des protons à 400 Gev/c avec le Supersynchrotron (SPS) du CERN. Ces protons sont éjectés par une impulsion de champ magnétique de déviation vers une cible en graphite de 2m de long. Celle-ci produit des mésons (pions et kaons) qui se désintègrent en neutrinos dans un tube d’environ 1 Km de long.

Schéma de la ligne de production du faisceau CNGS. Crédit CERN

Les neutrinos arrivant au Gran Sasso sont détectés par le gigantesque appareillage de l’expérience OPERA.

Convertisseur de courant rapide permettant de détecter avec une grande précision temporelle l’impulsion due aux protons du faisceau CNGS  et donc de fournir précisément le temps de départ des neutrinos pour le site du Gran Sasso. Crédiit CNRS Photothèque/IPNL / AUTIERO, Dario

Laboratoire de Gran Sasso (INFN). Détecteur de l’expérience OPERA . Poids : 1 800 tonnes. Crédit CNRS Photothèque/IPNL / ILLE, Bernard

En mesurant plus de 16000 tels événements durant les années 2009, 2010 et 2011 les scientifiques de la collaboration OPERA ont obtenu un résultat qui semble indiquer que le temps mis par les neutrinos émis au CERN pour arriver au détecteur du Gran Sasso est inférieur de 60 nanosecondes à celui mis par la lumière pour parcourir un trajet égal. Cela montrerait que les neutrinos se déplacent à une vitesse supérieure à la vitesse de la lumière. La variation relative de cette vitesse est de 26 10-6 , soit 26 millionièmes de la vitesse de la lumière ( c= 299 792 458 m/s).
L’objectif de l’expérience OPERA n’était pas, a priori, de mesurer la vitesse des neutrinos, mais d’étudier la transformation des neutrinos mu créés au CERN en neutrinos tau durant leur propagation. Cette transition, appelée oscillation, qui est rare, a été observée pour la première fois au Japon, en 1998 à l’observatoire de neutrinos Superkamiokande et enfin en 2010 dans l’expérience OPERA.
Des experts en métrologie du CERN et d’autres instituts se sont joints à OPERA pour mesurer à 20 cm près la distance de 730 Km entre source et détecteur et obtenir une précision sur le temps de vol des neutrinos inférieure à 10 nanosecondes en utilisant des systèmes GPS sophistiqués et des horloges atomiques de contrôle. Une étude systématique de tous les temps de réponse des appareils tant au CERN que dans le détecteur OPERA a été faite et utilisée dans les mesures et l’estimation des incertitudes.

La théorie de la relativité est-elle mise en doute ?

L’hypothèse que rien dans l’univers ne peut aller à une vitesse supérieure à celle de la lumière dans le vide est le fondement de la théorie de la relativité due à Albert Einstein. Celle-ci est elle-même une des bases de la physique moderne.
Jusqu’à présent, aucune expérience n’avait pu mettre cette théorie en défaut, bien au contraire.
Le résultat de la mesure d’OPERA est donc surprenant puisqu’il pourrait remettre en cause la théorie d’Einstein. Toutefois, il reste à le confirmer.
Les chercheurs de la collaboration OPERA eux-mêmes appellent à la nécessité de réaliser des mesures indépendantes. Ils s’interdisent pour l’instant tout essai d’interprétation théorique ou phénoménologique de leurs résultats.
C’est pour cela qu’ils ont exposé complètement leur expérience lors du séminaire et que l’on peut trouver dans l’article qu’ils ont publié immédiatement l’ensemble de leurs résultats avec leurs données brutes dans les plus petits détails.
Ils offrent ainsi à la communauté scientifique mondiale la possibilité de mettre en doute leur travail. De nouvelles expériences seront menées, de nouvelles pistes théoriques explorées. De tout cela surgira ou l’explication de la mesure en cause dans le cadre de la théorie existante ou une modification drastique de cette théorie.
De toute façon, on ne peut qu’admirer l’attitude exemplaire de ces physiciens et leur liberté d’esprit.

ADDENDUM  septembre 2012 : Finalement,  les neutrinos ne vont pas plus vite que la lumière.
Las, dès le début de l’année 2012, toutes  les équipes du Gran Sasso, ICARUS, LVD,  OPERA  et BOREXINO se sont mises (ou remises) à mesurer la vitesse des neutrinos.
Dès mars 2012, ICARUS trouve des valeurs classiques différentes de celle d’OPERA. Puis, OPERA , en utilisant des résultats de LVD, découvre des erreurs expérimentales  ayant faussé la mesure. Enfin, l’équipe BOREXINO mesure en juin la vitesse des neutrinos à une précision de l’ordre de une nanoseconde, donc bien supérieure à celle de 62 nanosecondes de OPERA. La vitesse mesurée est celle de la lumière. Les neutrinos ne vont donc pas plus vite que  la lumière!

En savoir plus

Measurement of the neutrino velocity with the OPERA detector in the CNGS beam, article prépublié sur arxiv.org