Les éclairs des éruptions volcaniques reconstitués au laboratoire

Les éruptions volcaniques sont accompagnées d’une intense activité électrique qui se traduit souvent par  la génération d’éclairs  durant l’éruption. Il est bien difficile de mesurer le potentiel électrique dans la cheminée d’un volcan. Des chercheurs du Department of Earth and Environmental Sciences de la Ludwig Maximilian Universität à Munich, Allemagne, ont reproduit à l’échelle du laboratoire des éruptions volcaniques en utilisant la décompression rapide d’un mélange de gaz et de particules. Ce système dont les conditions sont ajustables leur a permis d’observer à l’aide d’une caméra ultra-rapide des éclairs et d’analyser leurs causes.

Mesures et prises de vues au laboratoire

On simule à une échelle réduite l’éruption volcanique en utilisant la technique du tube à choc  par décompression rapide d’un gaz neutre, l’argon (Fig.1 A).

Fig.1. Appareillage de simulation d’éruptions au laboratoire. A)Schéma de l’appareil avec ses dimensions principales. B)Photographie de l’appareillage placé à la base du réservoir collecteur avec l’ajutage de sortie, le capteur de pression et les antennes de mesure du champ électrique. L’ajutage de sortie a un diamètre de 28 mm et la distance entre les électrodes est de 10 mm. La cavité située au-dessous du diaphragme est remplie de cendres volcaniques ou de microbilles de verre et de gaz argon sous une pression d’environ 10MPa ( 98 fois la pression atmosphérique normale). Quand le diaphragme cède, les particules sont accélérées vers le haut et éjectées à travers l’ajutage dans le grand réservoir rempli d’air à pression et température normales. Crédit C. Cimarelli.

Fig.1. Appareillage de simulation d’éruptions volcaniques au laboratoire.
A) Schéma de l’appareil avec ses dimensions principales.
B) Photographie de l’appareillage placé à la sortie du tube à choc : ajutage de sortie, capteur de pression et  électrodes de mesure du champ électrique. L’ajutage de sortie a un diamètre de 28 mm et la distance entre les électrodes est de 10 mm. La cavité située au-dessous du diaphragme est remplie de cendres volcaniques ou de microbilles de verre et de gaz argon sous une pression d’environ 10MPa ( 98 fois la pression atmosphérique normale). Quand le diaphragme cède, les particules sont accélérées vers le haut et éjectées à travers l’ajutage dans le grand réservoir rempli d’air à pression et température normales. Crédit C. Cimarelli.

Un tube à choc est un instrument utilisé pour simuler des explosions et leurs effets. On produit une onde de choc à l’intérieur du tube, soit à l’aide d’explosifs, soit en créant une très forte pression derrière une membrane dont la rupture déclenchera le phénomène. Une onde de choc se crée quand, dans un milieu donné, un corps se déplace à une vitesse supérieure à la vitesse du son dans le milieu. Il y a une transition brutale entre la région du milieu où l’onde de choc se propage et celle qu’elle n’a pas encore atteinte. 

La caméra ultra-rapide (50 000 images/s) permet de suivre la dynamique des jets de particules de l’éruption en réduction. Au niveau de l’ajutage de sortie, on mesure d’une part les potentiels électriques par rapport à la terre de deux électrodes annulaires en cuivre et d’autre part la pression par un capteur. Ces expériences reconstituent les conditions rencontrées dans la région de forte poussée du gaz du panache d’une éruption volcanique réelle. On utilise des cendres de différentes tailles de grains provenant des volcans Popocatépetl au Mexique, Eyjafjallajökull en Islande et la Soufrière aux Antilles anglaises ou encore des microbilles de verre.

Observations réalisées

La figure 2 ci-dessous montre une expérience réalisée avec des cendres  d’une taille de 250 µm et 335 µm originaires du volcan Popocatépetl.
On distingue dans toutes les expériences trois phases successives bien différenciées : l’éjection de la fraction d’argon surmontant les particules au départ, l’éjection du mélange de particules et de gaz, l’éjection des particules restantes en un jet bien tubulaire. Dans la première phase, la décompression du gaz crée du froid qui condense l’argon en gouttelettes visibles (Fig.2A). Dans la deuxième, l’éjection d’un mélange de gaz et de particules est accompagnée par la génération d’une région de turbulence; on y observe des éclairs et les décharges électriques correspondantes( Fig.2B). La troisième phase concerne l’éjection des particules restantes qui se fait par un jet tubulaire de section constante (Fig.2.C).
Si on réalise une expérience de décompression rapide du gaz sans particules, on n’observe ni décharges électriques ni éclairs.

Fig.2. Phases successives de l’expérience. A) Ejection du gaz d’argon avant celle des particules avec condensation du gaz. B) Le jet de particules est entouré d’une « coquille » de turbulence et on observe des éclairs. C)On ne distingue plus la coquille de turbulence, il n’y a plus d’éclairs, le mélange de gaz et de particules est toujours éjecté dans le cylindre central. D) Schéma d’une section du jet détaillant la phase B et montrant le cœur de l’écoulement (grosses particules, gris foncé), la coquille turbulente (particules fines, gris clair). Crédit C. Cimarelli.

Fig.2. Phases successives d’une expérience avec des cendres du volcan Popocatepetl.
A) Ejection du gaz d’argon avant celle des particules avec condensation du gaz.
B) Le jet central cylindrique de particules est entouré d’une « coquille » de particules plus fines en turbulence
et on observe des éclairs.
C)On ne distingue plus la coquille de turbulence, il n’y a plus d’éclairs,
le mélange de gaz et de particules est toujours éjecté dans le cylindre central.
D) Schéma d’une section du jet détaillant la phase B et montrant le cœur de l’écoulement (grosses particules, gris foncé) et la coquille turbulente (particules fines, gris clair). Crédit C. Cimarelli.

Mécanisme de formation des éclairs

Les films réalisés à la caméra ultra-rapide montrent que la taille des particules et le fait qu’elles soient de même taille (distribution dite mono-disperse) ou de tailles différentes (distribution polydisperse) jouent un rôle important.

  • Dans le cas de  grosses particules monodisperses de 500 µm (Fig.3 B), on observe que leur mouvement est dominé par l’inertie, ce qui donne un écoulement en forme de cylindre bien défini au-dessus de l’ajutage de sortie (Fig.3 B). L’interaction entre particules est négligeable et il n’y a donc pas de phénomène de charge électrique.
  • Des particules mono-disperses de 50 µm (Fig.3 D, F) sont, elles, assez petites pour se coupler avec le gaz et sont affectées par la turbulence locale. Dans les régions de turbulence, il se forme des amas de particules qui induisent des collisions et, par frottement (triboélectricité), les particules se chargent électriquement.
  • Dans le cas du mélange bimodal de particules des deux tailles précédentes (Fig.3 C, E), la structure de l’écoulement est intermédiaire entre les deux types d’écoulements mono-disperses. L’inertie force les grosses particules à s’écouler selon un tube de la taille de l’ajutage tandis que les fines particules sont accélérées radialement vers la périphérie par le gaz qui se détend. Elles forment alors une coquille de turbulence qui constitue un mécanisme de séparation des charges, à l’origine des décharges électriques et éclairs.

 

Fig.3. Génération de décharges électriques et d’éclairs associés en fonction de l’abondance de particules fines. A) Graphe représentant le nombre de décharges de tension supérieure à 0,2 volt enregistrées en fonction de la proportion en masse de particules fines en correspondance avec les figures B,C,D etE,F. B) Un ensemble mono-disperse de "grosses "microbilles de verre de 500 µm forme un écoulement bien cylindrique et ne produit pas d’éclairs. C) Avec un mélange bimodal de billes de 500 µm et 50 µm, les grosses particules restent au cœur cylindrique de l’écoulement tandis que les particules fines forment une coquille de turbulence et qu’on observe des décharges et des éclairs. D) L’ensemble mono-disperse de « fines » billes de 50 µm s’écoule selon la turbulence locale. . E) On a représenté ici, pour le mélange bimodal, la répartition des charges électriques. Les particules les plus grosses tendent à se charger positivement tandis que les plus petites se chargent négativement. L’origine en est leur comportement différent dans l’écoulement hydrodynamique. F) Pour des particules fines d’un seule taille, c’est la formation d’amas avec des densités de charge relatives différentes qui crée des décharges. ( en E et F, les symboles + et – représente des densités de charge relative qui peuvent être de la même polarité. Crédit C.Cimarelli.

Fig.3. Génération de décharges électriques et d’éclairs associés en fonction de l’abondance de particules fines. Schémas obtenus à partir d’expériences réalisées avec des microbilles de verre de 500 µm et 500 µm.
A) Graphe représentant le nombre de décharges de tension supérieure à 0,2 volt enregistrées en fonction de la proportion en masse de particules fines. Les figures B,C,D et E,F lui correspondent.
B) Un ensemble mono-disperse de « grosses « microbilles de verre de 500 µm forme un écoulement bien cylindrique et ne produit pas d’éclairs.
C) Avec un mélange bimodal de billes de 500 µm et 50 µm, les grosses particules restent au cœur cylindrique de l’écoulement tandis que les particules fines forment une coquille de turbulence et qu’on observe des décharges et des éclairs.
D) L’ensemble mono-disperse de « fines » billes de 50 µm s’écoule selon la turbulence locale. .
E) On a représenté ici, pour le mélange bimodal, la répartition des charges électriques. Les particules les plus grosses tendent à se charger positivement tandis que les plus petites se chargent négativement. L’origine en est leur comportement différent dans l’écoulement hydrodynamique.
F) Répartition des charges électriques pour des particules fines d’un seule taille. C’est la formation d’amas avec des densités de charge relatives différentes qui crée des décharges. ( en E et F, les symboles + et – représentent des densités de charge relatives qui peuvent être de la même polarité. Crédit C.Cimarelli.

La vidéo suivante représente une expérience (Fig.2) réalisée avec comme composant solide des cendres du volcan mexicain Popocatepetl avec des tailles de particules allant de 250 µm à 355 µm, donc une distribution polydisperse.
[jwplayer mediaid= »19137″] Crédit C.Cimarelli.
On y observe bien l’écoulement cylindrique des grosses particules, la zone de turbulence et les nombreux éclairs observés dans la deuxième phase éruptive.
Les panaches d’éruptions volcaniques riches en cendres sont connus pour donner souvent lieu à des éclairs. C’est le cas par exemple, des récentes éruptions de l’Eyjafjallajökull en Islande, du Stromboli en Italie et du Sakurajima au Japon.
Les expériences des chercheurs munichois correspondent à ces observations et révèlent en outre une relation directe entre le nombre de décharges électriques et l’abondance de particules fines dans la matière éjectée par un volcan. Leur interprétation est que la formation d’amas de particules fournit un mécanisme efficace pour la génération de charges et, partant, de décharges avec éclairs dans les panaches d’éruptions volcaniques. Cette formation d’amas est particulièrement efficace en présence de cendres fines sortant du cratère du volcan.
Ces expériences ouvrent de nouvelles voies à la compréhension des éclairs volcaniques et suggèrent l’utilisation de caméras ultra-rapides sur le terrain lors des éruptions en les synchronisant avec diverses autres mesures comme les relevés par radar Doppler ou par effets magnéto-telluriques. En outre, ces méthodes peuvent s’appliquer aux éclairs associés aux tempêtes de poussières, à des processus divers dans les atmosphères planétaires et même avoir des applications industrielles dans les cas où sont utilisées de nombreuses particules fines ou granulaires.

Pour en savoir plus :
Experimental generation of volcanic lightning   C.Cimarelli, M.A. Alatorre-Ibargüengoitia*, U. Kueppers, B. Scheu, and D.B. Dingwell
Geology, 28 février 2015