Qu’est-ce qui gouverne la taille des gouttes d’un aérosol ?

Lorsqu’on pulvérise un liquide, il se crée un brouillard, ou aérosol, constitué de gouttelettes de fluide en suspension dans l’air. A l’Université d’Amsterdam, aux Pays-Bas, une équipe à laquelle se sont joints des physiciens du City College of New York,  USA et d’ Aix Marseille  Université,  France, s’est penchée expérimentalement sur les différents paramètres déterminant la taille des gouttes. Ils ont trouvé que celle-ci est déterminée par l’inertie du fluide,  sa tension superficielle et la géométrie de l’ajutage de sortie du vaporisateur.

La tension superficielle appelée encore énergie par unité de surface est un phénomène lié aux interactions moléculaires. C’est une contrainte existant au niveau de toute interface entre deux milieux différents (solide, liquide ou gaz). En effet, les molécules tendant à être entourées par celles de la même espèce, le système tend à minimiser la surface de contact entre les deux milieux.   C’est la tension superficielle qui rend sphérique une goutte d’eau isolée et qui permet à des insectes (gerris) de marcher sur l’eau. 

La pulvérisation d’un liquide est une opération courante dans la vie moderne. Elle intervient dans l’agriculture, les soins médicaux, l’imprimerie, le combat contre l’incendie, la peinture au pistolet et bien d’autres tâches. Les tailles des gouttes et leur distribution sont importantes pour l’usage qu’on en fait : en agriculture, il faut que les gouttes des produits pulvérisés soient assez petites pour bien couvrir les végétaux mais pas trop pour ne pas polluer l’environnement ; en médecine, il faut des petites gouttes faciles à inhaler, mais pas assez pour provoquer leur évaporation instantanée.
Le jet sortant de la buse d’un pulvérisateur se divise en filaments liquides, qui se forment transitoirement lors d’une déstabilisation du jet ou de la nappe liquide et qui vont se diviser en gouttes. On a compris depuis longtemps que le mécanisme de la rupture est principalement dû à des ondes à la surface du liquide produites par le frottement avec l’air. Ces  ondes, appelées ondes de Squire, du nom du physicien qui les a découvertes, modulent l’épaisseur de la nappe ou du jet, l’amincissant par endroits où elle se rompt. Les fragments ainsi créés se divisent par la suite en gouttes.
La figure 1 montre les ondes de Squire à la sortie d’une buse conique de vaporisateur.

Fig.1.Photo du jet d’une buse conique de vaporisateur alimenté à une pression de 2 bars On voit bien l’onde de Squire, sa longueur d’onde est en accord avec la théorie. Son amplitude croît jusqu’à la rupture de la nappe liquide. Reproduit de What Determines the Drop Size in Sprays? Stefan Kooij, Rick Sijs, Morton M. Denn, Emmanuel Villermaux, and Daniel Bonn PHYSICAL REVIEW X 8, 031019 (2018) CC-BY 4.0

Fig.1. Photo du jet d’une buse conique de vaporisateur alimentée à une pression de 2 bars
On voit bien l’onde de Squire, sa longueur d’onde est en accord avec la théorie. Son amplitude croît jusqu’à la rupture de la nappe liquide.
Reproduit de What Determines the Drop Size in Sprays?
Stefan Kooij, Rick Sijs, Morton M. Denn, Emmanuel Villermaux, and Daniel Bonn
PHYSICAL REVIEW X 8, 031019 (2018) CC-BY 4.0

A la sortie d’une buse plate, le liquide est aplati en nappe mais se brise de la même façon (Fig.2).

Fig.2. .Photo du jet d’une buse plate de vaporisateur alimenté à une pression de 2 bars C’est au bas de la photo que se produisent les ruptures qui donneront naissance aux fragments puis aux gouttes. Reproduit de What Determines the Drop Size in Sprays? Stefan Kooij, Rick Sijs, Morton M. Denn, Emmanuel Villermaux, and Daniel Bonn PHYSICAL REVIEW X 8, 031019 (2018) CC-BY 4.0

Fig.2. Photo du jet d’une buse plate de vaporisateur alimentée à une pression de 2 bars
C’est au bas de la photo que se produisent les ruptures qui donneront naissance aux fragments puis aux gouttes.
Reproduit de What Determines the Drop Size in Sprays?
Stefan Kooij, Rick Sijs, Morton M. Denn, Emmanuel Villermaux, and Daniel Bonn
PHYSICAL REVIEW X 8, 031019 (2018) CC-BY 4.0

La figure 3  ci-dessous schématise le mécanisme de rupture dans le cas d’un jet plat.

Fig.3. Représentation schématique du mécanisme de rupturedanle cas d’un buse de vaporisateur plate a)La vue de front de la nappe liquide montre comment des morceaux de la nappe d’une taille de l’ordre de la longueur d’onde λ de Squire se séparent de la nappe principale pour former des fragments à une distance l de la buse. Ces fragments se rompent en gouttelettes. b) La vue de côté de la nappe montre les modulations d’épaisseur dues à l’onde de Squire. L’augmentation d’amplitude de celle-ci conduit à la rupture de la nappe. Reproduit de What Determines the Drop Size in Sprays? Stefan Kooij, Rick Sijs, Morton M. Denn, Emmanuel Villermaux, and Daniel Bonn PHYSICAL REVIEW X 8, 031019 (2018) CC-BY 4.0.

Fig.3. Représentation schématique du mécanisme de rupture dans le cas d’une buse de vaporisateur plate
a) La vue de front de la nappe liquide montre comment des morceaux de la nappe d’une taille de l’ordre de la longueur d’onde λ de Squire se séparent de la nappe principale pour former des fragments à une distance l de la buse. Ces fragments se rompent en gouttelettes.
b) La vue de côté de la nappe montre les modulations d’épaisseur dues à l’onde de Squire. L’augmentation d’amplitude de celle-ci conduit à la rupture de la nappe.
Reproduit de What Determines the Drop Size in Sprays?
Stefan Kooij, Rick Sijs, Morton M. Denn, Emmanuel Villermaux, and Daniel Bonn
PHYSICAL REVIEW X 8, 031019 (2018) CC-BY 4.0.

On détermine la taille des gouttes et leur distribution en  utilisant un système de diffraction laser : un faisceau laser élargi traverse l’aérosol et la figure de diffraction qui en résulte est mesurée par une cellule photosensible à deux dimensions. Une caméra ultra-rapide permet de vérifier la sphéricité des gouttes.
Daniel Bonn et ses collègues ont fait varier tous les paramètres : géométrie de la buse du vaporisateur, pression d’alimentation et les propriétés du fluide : tension  superficielle et viscosité.
Ils ont observé que la viscosité n’influait pas la distribution de taille des gouttes, excepté pour des valeurs élevées de celle-ci, où l’effet reste négligeable.
En revanche, l’augmentation de la pression  diminue la taille des gouttes tandis que celle de la tension superficielle ou de l’orifice de la buse du vaporisateur l’augmente. La formation des gouttes résulte de la compétition entre l’inertie du fluide (proportionnelle à son énergie cinétique par unité de volume) et le travail des forces de tension superficielles.

Ces résultats leur ont permis de développer une relation générale entre la taille des gouttes et les paramètres du vaporisateur et du fluide utilisé.
On en tire que l’on peut modifier la taille moyenne des gouttes en changeant la buse ou en ajoutant de l’éthanol pour changer la tension superficielle mais surtout en faisant varier la pression, donc le débit, ce qui est de loin le paramètre le plus efficace.
En outre, les chercheurs ont établi que dans le cas d’une buse conique les fragments de fluide sont de taille uniforme à la différence du cas des buses plates. Il est donc préférable d’utiliser une buse conique si l’on désire avoir une distribution de gouttes de tailles très voisines.

Grâce à la formule générale obtenue par les chercheurs, il est maintenant possible de prédire la distribution de taille des gouttes pour une application donnée mais aussi d’améliorer la conception des pulvérisateurs dans des domaines aussi variés que l’imprimerie ou la lutte contre les incendies.

Pour en savoir plus :
What Determines the Drop Size in Sprays?
Stefan Kooij, Rick Sijs, Morton M. Denn, Emmanuel Villermaux, and Daniel Bonn
PHYSICAL REVIEW X 8, 031019 (2018)