Sable sec ou mouillé, sur lequel glisse mieux une charge?

Le frottement lors du glissement sur ou entre des couches de sable concerne de nombreux domaines allant des travaux publics à la dynamique des séismes. Une équipe de chercheurs hollandais, français, allemands et iraniens, sous la direction de Daniel Bonn, du Van der Waals-Zeeman Institute, IoP, University of Amsterdam, Amsterdam, Pays-Bas, a montré expérimentalement que le frottement sur le sable était fortement diminué par l’ajout d’une quantité bien dosée d’eau. Ceci explique l’action du petit personnage que l’on voit sur une peinture tombale égyptienne arrosant le sable à l’avant d’un radeau de bois servant au transport d’une énorme statue en pierre. Mais ce résultat peut aussi avoir des conséquences importantes sur le transport et la manutention des matériaux granulaires.

 Fig. 1. Peinture murale de la tombe de Djehutihotep , nomarque (fonctionnaire) égyptien de la 12ième dynastie vers 1900 av. JC. Elle représente le transport d’une statue monumentale sur un radeau de bois tiré par une cinquantaine de personnages. Le personnage qui se tient à l’avant du radeau verse de l’eau sur le sable.

Fig. 1. Peinture murale de la tombe de Djehutihotep , nomarque (sorte de préfet) égyptien de la 12ième dynastie vers 1900 av. JC. Elle représente le transport d’une statue monumentale sur un radeau de bois tiré par une cinquantaine de personnages. Le personnage qui se tient à l’avant du radeau verse de l’eau sur le sable. Crédit D. Bonn  PRL. © 2014 by The American Physical Society

Les physiciens ont beaucoup discuté de l’influence de l’humidité de l’air sur le frottement sur le sable. Le consensus général était que l’humidité de l’air entraînait une condensation d’eau entre les grains de sable. On en déduisait que, durant le glissement, la rupture des ponts d’eau entre grains augmentait considérablement le frottement. Et on en concluait donc que le glissement sur sable sec était plus facile que sur le sable mouillé. Les expériences que nous décrivons ci-dessous montrent une réalité plus complexe.

Les expériences au laboratoire

Les chercheurs du Waals-Zeeman Institute ont mesuré la force nécessaire pour tirer à vitesse constante un radeau chargé de différents poids sur trois types de sable mélangés à diverses quantités d’eau. Ils ont utilisé un radeau en PVC (chlorure de polyvinyle) de 11x 7,5 cm que l’on voit chargé de différents poids sur la figure 2.

Fig.2. Vue du radeau chargé glissant sur du sable. A gauche le sable est sec et l’on voit qu’il forme un tas devant le radeau. A droite, le sable contient 5% d’eau et la force nécessaire pour un tirage à une vitesse constante donnée est presque deux fois plus faible que dans le cas de gauche.

Fig.2. Vue du radeau chargé glissant sur du sable. A gauche le sable est sec et l’on voit qu’il forme un tas devant le radeau. A droite, le sable contient 5% d’eau et la force nécessaire pour un tirage à une vitesse constante donnée est presque deux fois plus faible que dans le cas de gauche. Crédit D. Bonn PRL. © 2014 by The American Physical Society

Dans le système sable-eau-air que constitue le sable mouillé, l’eau forme des ponts capillaires entre les grains de sable. Différentes densités de liquide conduisent à des forces de frottement variées comme on peut le voir sur la figure 3.

Fig.3. Courbes de la force en fonction du déplacement pour le sable sec, courbe rouge, et pour trois valeurs de pourcentage d’eau dans le sable. La partie montante de chaque courbe correspond au démarrage jusqu’à la vitesse constante, partie plate des courbes. Pour une proportion d’eau de 5%, la force est environ 1,4 fois plus faible que dans le cas du sable sec, courbe mauve.

Fig.3. Courbes de la force de frottement en fonction du déplacement pour le sable sec, courbe rouge, et pour trois valeurs de pourcentage d’eau dans le sable. La partie montante de chaque courbe correspond au démarrage jusqu’à la vitesse constante, partie plate des courbes. Pour une proportion d’eau de 5%, la force est environ 1,4 fois plus faible que dans le cas du sable sec, courbe mauve. Crédit  D. Bonn PRL. © 2014 by The American Physical Society

On peut remarquer sur la figure 3 que pour 1,5% et 7,4% d’eau dans le sable, la force nécessaire pour le déplacement a très peu changé par rapport au sable sec. La proportion de 5% correspond à un minimum de la force nécessaire pour un type de sable donné. Ce minimum du coefficient de friction correspond à un maximum du module de cisaillement que des mesures complémentaires ont mis en évidence.

On dit qu’il y a cisaillement d’un matériau quand on lui applique une force (une contrainte) parallèlement à une de ses faces et non de manière perpendiculaire (normale). Le module de cisaillement relie la déformation du matériau due au cisaillement à la contrainte de cisaillement. On l’appelle parfois module de glissement.

L’interprétation du phénomène
Les chercheurs expliquent leurs observations par une augmentation du module de cisaillement quand des ponts capillaires se forment entre les grains de sable et créent une attraction entre les grains qui rend le sable moins déformable et donc le coefficient de friction moins élevé. Mais, à partir d’une certaine proportion d’eau, les ponts fusionnent et même finissent par disparaître quand le sable est saturé. La figure 4  ci-dessous illustre cela par des microphotographies aux rayons X de billes de polystyrène mélangées à diverses quantités de liquide.

Fig.4. Micrographies aux rayons X de billes de polystyrène de 500 µm de diamètre mélangées à a) 1% de liquide b) 5% de liquide c) 10% de liquide

Fig.4. Micrographies aux rayons X de billes de polystyrène de 500 µm de diamètre mélangées à
a) 1% de liquide b) 5% de liquide c) 10% de liquide.    On remarque  que les ponts  d’eau capillaires présents en a) commencent à fusionner  en b) puis  encore plus en c). Leur nombre diminue donc fortement. Crédit D. Bonn PRL. © 2014 by The American Physical Society

 
Cette étude a aussi montré que  la diminution des forces de friction par ajout d’une faible quantité d’eau était plus forte avec  du sable (on l’appelle polydispersé) dont les grains sont de dimensions différentes  qu’avec du sable (monodispersé) dont les grains sont de même dimension.
Ces résultats expérimentaux  montrent que la présence de très petites quantités d’eau peut modifier profondément le frottement sur le sable. Ils vont permettre en particulier d’améliorer le transport de matériaux granuleux à travers des tubes. En comprenant mieux le frottement sur les parois, on pourra optimiser ce transport dont on estime actuellement qu’il est responsable de 10% de l’énergie totale consommée dans le monde.

Pour en savoir plus :
Sliding Friction on Wet and Dry Sand
A.Fall, B. Weber, M. Pakpour, N. Lenoir, N. Shahidzadeh,  J. Fiscina, C. Wagner, and D. Bonn
Physical Review Letters 112, 175502 (2014)

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