Des photos à travers des couches diffusantes quasi opaques

L’imagerie optique est un outil utilisé dans nombre de domaines de recherche. Mais souvent l’inhomogénéité des milieux où l’on veut observer un objet, comme celle des tissus biologiques, entraîne une diffusion de la lumière qui est déviée de manière compliquée par cette inhomogénéité. Ce phénomène transforme tout faisceau optique en une structure complexe de tavelures (speckle en anglais). L’œil ou une caméra ne sont alors pas à même de distinguer clairement l’objet.  Cela limite gravement la résolution ainsi que la profondeur de pénétration dans les tissus biologiques. Des chercheurs de l’Institut Langevin de l’ESPCI Paris (Ecole Supérieure de Physique et Chimie Industrielle de la Ville de Paris) , du CNRS et de l’ENS  LKB ont mis au point une technique simple pour obtenir, par une méthode non-invasive l’image d’objets cachés derrière des couches  visuellement opaques.

Fig. 1. Schéma représentant l’obtention d’une image à travers des couches fortement diffusantes. a)Dispositif expérimental : un objet, ici des organites (structures contenues dans le cytoplasme de cellules) sont écrantées par un milieu diffusant visuellement opaque. L’objet est éclairé par une source incohérente monochrome. c) On calcule l’auto-corrélation de l’image b) de la caméra et d) on reconstitue à partir de cela une image de l’objet. Les barres d’échelle valent 0,3mm. Remarque : les images sont monochromes, les fausses couleurs utilisées ici représentent les intensités lumineuses selon l’échelle indiquée. Crédit Nature Photonics.

Fig. 1. Schéma représentant l’obtention d’une image à travers des couches fortement diffusantes.
a)Dispositif expérimental : un objet, ici des organites (structures contenues dans le cytoplasme de cellules) sont écrantées par un milieu diffusant visuellement opaque. L’objet est éclairé par une source incohérente monochrome. On calcule l’auto-corrélation c) de l’image b) de la caméra et  on reconstitue à partir de cela une image d) de l’objet. Les barres d’échelle valent 0,3mm.
Remarque : les images sont monochromes, les fausses couleurs utilisées ici représentent les intensités lumineuses selon l’échelle indiquée sur la figure. Crédit Nature Photonics.

 
Reconstitution de l’image de l’objet à partir de l’auto-corrélation
L’image d’un objet écranté par une paroi diffusante et enregistrée par une caméra de haute résolution, est de faible contraste et ne fournit pas, à priori, d’information visible sur l’objet (Fig.1 b). Mais les chercheurs ont montré que, sous certaines conditions, l’auto-corrélation  de cette image est, pour l’essentiel, identique à  celle de l’image »idéale » de l’objet obtenue par un système optique de qualité mis à la place de l’écran diffusant (Fig.2).  Une unique image de la tache de diffusion de l’objet à travers la couche opaque contient en fait suffisamment d’information pour reconstruire l’image de l’objet masqué. En utilisant un algorithme du type de ceux utilisés pour analyser les défauts initiaux du télescope spatial Hubble, on peut reconstituer une image de l’objet ( Fig.1 d) à partir de l’auto-corrélation de l’image « diffusée » (Fig.1 c) enregistrée .

L’auto-corrélation est un outil mathématique très utilisé en traitement du signal. En optique, cela revient à intégrer  le produit de l’intensité lumineuse en chaque point de l’image par l’intensité lumineuse en un point  décalé d’une certaine distance. Le résultat de cette opération pour  toutes  les valeurs de cette distance constituera l’image d’autocorrélation.

 

Fig.2. Schéma d’une image de l’objet obtenue à l’aide d’un objectif de qualité mis à la place de l’écran diffusant. On remarque que l’image d’auto-corrélation est fort proche de celle de la figure 1. Les barres d’échelle valent 0,3mm. Crédit Nature Photonics.

Fig.2. Schéma d’une image de l’objet obtenue à l’aide
d’un objectif de qualité mis à la place de l’écran diffusant.
On remarque que l’image d’auto-corrélation est fort proche
de celle de la figure 1. Les barres d’échelle valent 0,3mm.
Crédit Nature Photonics.

On a pu obtenir par cette technique des images d’objets placés derrière des tissus biologiques comme, par exemple, une peau de poitrine de poulet d’épaisseur 0,3mm .
Une telle méthode  présente un grand intérêt en biologie, grâce à son caractère  non invasif.
Visée « par le côté » d’un objet caché
Cette technique peut aussi fonctionner en réflexion. On peut alors obtenir l’image d’un objet qu’on ne voit pas directement en visant « par le  côté»  une paroi recevant la lumière diffusée par l’objet. La démonstration expérimentale en est donnée sur la figure 3 ci-dessous.

Fig.3.Prise d’une image « en coin » La lumière venant d’un objet éclairé par une source incohérenet frappe un écran blanc fortement diffusant (recouvert d’une peinture à l’oxyde de zinc). a) Une caméra haute résolution enregistre la lumière diffusée réfléchie par le mur blanc. b)Image brute enregistrée par la caméra. c) Image de l’objet reconstruite à partir de l’auto-corrélation de l’image a). d) Image réelle de l’objet caché. Barre d’échelle : 0,2 mm Crédit Nature Photonics.

Fig.3. Prise d’une image « par le côté »
La lumière venant d’un objet éclairé par une source incohérenet
frappe un écran blanc fortement diffusant (recouvert d’une
peinture à l’oxyde de zinc).
a) Une caméra haute résolution enregistre la lumière diffusée
réfléchie par le mur blanc.
b) Image brute enregistrée par la caméra.
c) Image de l’objet reconstruite à partir de l’auto-corrélation
de l’image a).
d) Image réelle de l’objet caché. Barre d’échelle : 0,2 mm
Crédit Nature Photonics.

Voir  à travers une couche diffusante avec la caméra d’un téléphone portable
La technique que l’on vient d’exposer peut être réalisée très simplement à l’aide d’appareils photos grand public. La figure 4 représente la répétition de l’expérience de la figure 1 avec un téléphone portable du commerce qui est muni d’un appareil photo de 41 Mégapixels. On a placé divers objets à 2 cm du diffuseur et on a simplement pris une image de la lumière diffusée. On la voit sur l’écran du télephone. On enregistre cette image sur un ordinateur pour pratiquer l’auto-corrélation puis la reconstruction de l’image de l’objet.

Fig.4.Sur la figure du haut on voit la prise de vue à travers un écran dépoli diffusant d’un objet(ici la lettre " X "). La figure de bas représente l’écran du téléphone décrivant l’image enregistrée . La figure 5 ci-dessous montre les images finales de trois objets différents obtenues par ce procédé après auto-corrélation et reconstruction. Crédit Nature Photonics

Fig.4. Sur la figure du haut on voit la prise de vue à travers un écran
dépoli diffusant d’un objet (ici la lettre  » X « ). La figure du bas
représente l’écran du téléphone décrivant l’image enregistrée . La figure 5 ci-dessous montre les images finales de trois objets différents obtenues par ce procédé après auto-corrélation et reconstruction.
Crédit Nature Photonics.

Fig.5. Sur la colonne de gauche figurent les images d’auto-corrélation calculées de trois objets différents. Sur la colonne du milieu, on voit les images d’objets reconstruites à partir des images d’auto-corrélation. Dans la colonne de droite figurent les images directes des objets cachés derrière l’écran dépoli. Les barres d’échelle valent 1,7 mm. Crédit Nature Photonics.

Fig.5. Sur la colonne de gauche figurent les images d’auto-corrélation
calculées de trois objets différents. Sur la colonne du milieu,
on voit les images d’objets reconstruites à partir des images
d’auto-corrélation. Dans la colonne de droite figurent les images
directes des objets cachés derrière l’écran dépoli. Les barres d’échelle
valent 1,7 mm. Crédit Nature Photonics.

Ce dispositif d’imagerie présente beaucoup d’intérêt et peut avoir de nombreuses applications, en particulier en biologie. Le milieu diffusant, dont on ignore même la structure aléatoire, est utilisé par le dispositif. La lumière diffusée sert elle-même à former une image au lieu d’être atténuée par des filtres. La méthode ne nécessite pas d’optique, c’est le milieu diffusant qui en joue le rôle. Ceci est un atout non négligeable pour des applications dans des domaines de longueurs d’onde, comme celui de l’ultra-violet lointain, où la fabrication de composants optiques devient extrêmement difficile, voire impossible.

Pour en savoir plus :
Non-invasive single-shot imaging through scattering layers and around corners via speckle correlations
Ori Katz1, Pierre Heidmann, Mathias Fink and Sylvain Gigan
Nature Photonics, Vol.8, octobre 2014