Voir par fluorescence à l’intérieur du corps humain

La fluorescence est très utilisée en biologie pour de nombreuses études. C’est un outil essentiel pour déterminer la structure et les propriétés de la matière et pour suivre in vivo les processus physiques, chimiques et biologiques. Mais jusqu’ici elle était limitée à des échantillons minces (1 mm maximum) en raison de la forte diffusion de la lumière par les tissus biologiques. Des chercheurs du Bioengineering and Electrical Engineering, California, Institute of Technology, Pasadena, USA du Department of Clinical Research, London School of Hygiene and Tropical Medicine, Londres, Angleterre et de l’Electrical and Computer Engineering, Mechanical and Industrial Engineering, Northeastern University, Boston, USA ont réussi à obtenir une image de fluorescence loin à l’intérieur (2,5 mm) de tissus biologiques.

Une molécule fluorescente possède la propriété d’absorber l’énergie lumineuse d’un photon et de la restituer rapidement sous forme de lumière fluorescente.  Une fois l’énergie du photon absorbée, la molécule se trouve alors dans un état électroniquement excité. C’est en retournant directement à l’état fondamental que la molécule émet la lumière de fluorescence. Si la molécule ne retourne pas directement à son état fondamental, mais passe un certain temps dans un état intermédiaire, on a alors un phénomène différent et plus lent, la phosphorescence. Il existe de nombreuses molécules fluorescentes pouvant être introduites dans des organismes vivants.

Pour parvenir à leur but, les chercheurs ont utilisé une technique extrêmement sophistiquée basée sur la conjugaison de phase,déjà utilisée en astronomie pour obtenir des images à travers une atmosphère troublée. Ici, il s’agit d’obtenir des images au sein même d’un milieu diffusant. Le problème est plus compliqué.

La conjugaison de phase consiste à renverser le sens de toutes les ondes planes qui constituent un faisceau lumineux donné. On la réalise en utilisant des effets optiques non linéaires dans les cristaux : on obtient ainsi les miroirs à conjugaison de phase. On peut aussi l’obtenir par analyse du signal et reconstruction numérique du signal conjugué de phase.  Le schéma ci-dessous  illustre les propriétés principales d’un miroir à conjugaison de phase par rapport à un miroir conventionnel. La bouteille est un obstacle déformant les fronts d’onde. Le miroir à conjugaison de phase, en renvoyant des ondes en exacte opposition de phase reconstitue l’image d’origine. Ajoutons que le miroir à conjugaison de phase renvoie la lumière parallèlement à sa direction incidente quel que soit l’angle d’incidence.

Crédit Wikipedia Commons Creative

Décrivons maintenant l’extraordinaire méthode utilisée par les chercheurs pour exciter la fluorescence loin au sein de tissus biologiques.
Dans un premier temps, un faisceau laser de fréquence f0 est envoyé dans l’échantillon biologique où il est fortement diffusé. Simultanément, une impulsion ultrasonore de fréquence fus est focalisée sur une petite région de l’échantillon où règne la lumière diffusée, laquelle voit sa fréquence déplacée à f0 +  fus par l’interaction avec les ultrasons. Cette lumière subit encore de la diffusion et est collectée en sortie par une caméra.
Dans un deuxième temps, le système à conjugaison de phase transforme numériquement ce signal de fréquence f0 + fus en un signal se propageant en sens inverse avec une phase inversée. Ce signal se propage alors que les ultrasons sont coupés et,  en raison des propriétés de la conjugaison de phase, se focalise là où s’étaient focalisés les ultrasons. Ce signal induit en ce point une fluorescence qu’on détecte en dehors du tissu à l’aide d’un photomultiplicateur sensible. Ce système permet, par exemple d’observer l’image par fluorescence d’une tumeur se trouvant à l’intérieur d’un organisme.

Fig. 1-Schéma du système d’imagerie
a) lors du premier stade d’enregistrement un faisceau laser (f0) est diffusé par les tissus à travers lesquels il se propage. Une impulsion ultrasonore focalisée déplace en fréquence( f0+fus) la lumière diffusée dans une petite région. Cette lumière déplacée en fréquence est diffusée dans le tissu biologique, en sort, interfère avec un faisceau de référence(f0+fus) et est collectée par une caméra(sCMOS). Le module de conjugaison de phase numérique détermine la carte des phases de la lumière de fréquence f0 +fus) et l’enregistre. Les ultrasons sont alors arrêtés.
b) Dans la deuxième étape, la conjuguée (signe opposé) de la carte des phases enregistrée est envoyée sur un modulateur spatial de lumière qui joue le rôle d’un miroir pour le faisceau de référence. Celui-ci est ainsi transformé en un faisceau conjugué de phase qui se propage en sens inverse dans le tissu biologique en se refocalisant dans la région définie par la modulation ultrasonore précédente. Toute fluorescence excitée en ce point intérieur à l’échantillon est alors détecté par un photo-détecteur
Crédit Nature Communications.

Un miroir dichroïque réfléchit la lumière de longueurs d’ondes situées dans un certain domaine et laisse passer les autres rayons lumineux.

Tout l’intérêt de ce système réside dans le fait que l’intensité du faisceau de retour focalisé ne dépend que de celle du faisceau de référence qui est extérieur à l’échantillon et réglable à volonté par l’opérateur.
La figure 2 illustre  l’intérêt de la nouvelle technique, en particulier pour la détection de  tumeurs cancéreuses.

Fig.2 Images par fluorescence de différents objets
a) Schéma de la disposition de l’échantillon
b) Image par fluorescence ordinaire d’un objet complexe sans interposition de tissu biologique
c) Image par fluorescence ordinairedu même objet placé sous 2,5 mm de tissu biologique. Les structures ne sont pas résolues.
d) Image par fluorescence, focalisation par ultrasons et conjugaison de phase numérique de l’objet précédent.
e) Image par fluorescence  ordinaire d’une tumeur isolée.
f) Image par fluorescence ordinaire de la même tumeur placée sous 2,5 mm de tissu biologique.
g) Image par fluorescence, focalisation par ultrasons et conjugaison de phase numérique de la tumeur précédente enfouie sous 2,5 mm de tissus biologiques.
La barre d’échelle vaut 50 micromètres. Crédit Nature Communications

La méthode décrite devrait pouvoir atteindre des profondeurs de quelques centimètres. Elle constitue un moyen non invasif de diagnostic. En outre, en augmentant l’intensité de la lumière de retour, on pourrait obtenir une brûlure localisée interne. Cela ouvre la voie à une chirurgie sans incision; en envoyant un faisceau laser intense focalisé en des points à l’intérieur d’un tissu biologique, on peut l’utiliser comme un scalpel laser qui laisse indemne la peau.

Pour en savoir plus: Nature Communications, 26 Jun 2012, Deep-tissue focal fluorescence imaging with digitally time-reversed ultrasound-encoded light, Ying Min Wang, Benjamin Judkewitz, Charles A. DiMarzio, Changhuei Yang.