Une avancée dans la détection de substances biologiques

On arrive maintenant à comprendre les phénomènes biologiques à l’échelle moléculaire. Il faut pour cela détecter des quantités infinitésimales de matière vivante très rapidement et avec une énorme sensibilité. Cela a des applications   dans de nombreux domaines, comme les diagnostics médicaux, la mise au point de médicaments ou encore la protéomique (étude de l’ensemble des protéines d’un organisme en l’état). Deux scientifiques japonais (National Institute of Advanced Industrial Science and Technology(AIST), Tsukuba, Ibaraki, Japan) ont amélioré fortement les méthodes de détection utilisées jusqu’ici.
Celles-ci sont basées sur des méthodes immunologiques. Leur principe est le suivant : dans une solution contenant la substance cible  (l’antigène, Ag), on introduit un anticorps (Ac) correspondant qui  se fixe à l’antigène, puis à révéler la présence de cet anticorps-antigène.

La méthode conventionnelle la plus sensible, dite méthode « sandwich », utilise deux anticorps différents, dont l’un est fixé sur une surface, l’autre, libre, est marqué. L’antigène se fixe entre les anticorps :

L’anticorps marqué est détecté par un senseur. Ce dernier peut être optique, électrique ou mécanique.

La nouvelle méthode de détection
Les scientifiques japonais ont fortement amélioré ce protocole : ils ont abandonné la fixation sur la surface du premier anticorps qui devient libre. Ils ont ainsi obtenu des sandwiches mobiles constitués de la substance à détecter fixée entre deux grains recouverts de deux anticorps différents.
Les grains  M (d’un diamètre de 25 nm) recouverts du premier anticorps ont un noyau magnétique en fer  enduit de streptavidine. Les grains O (d’un diamètre de 500nm) recouverts du deuxième anticorps sont en polystyrène et diffusent la lumière.
On peut mettre en mouvement les sandwiches par l’action d’aimants extérieurs à la cellule de mesure qui agissent sur les grains magnétiques. On va alors les détecter optiquement.

L’éclairage en optique en champ proche

Le système d’éclairage est très particulier et assez subtil. Il est basé sur l’optique en champ proche et conçu pour obtenir une intensité maxima au voisinage du fond de la cellule où se fait le dosage sans chauffer pour autant le reste de celle-ci. L’encadré ci-dessous le détaille.

On attaque avec une lumière polarisée monochromatique une interface entre un substrat de SiO2 et une couche de silicium monocristallin de 36 nm d’épaisseur surmonté d’une couche de SiO2 de 364 nm d’épaisseur qui constitue le fond de la cellule de dosage. Dans le silicium semi-conducteur, dont l’épaisseur est inférieure à la longueur d’onde de la lumière, on est dans le domaine de l’optique en champ proche, l’onde lumineuse devient évanescente, elle s’atténue mais des modes d’onde se propagent parallèlement à la surface. A l’interface Si-SiO2, ils excitent une onde lumineuse progressive dans la silice du fond de cuve. Mais surtout, à cette interface, l’intensité lumineuse est maxima pour un angle donné d’incidence de départ. Elle vaut 124 fois celle I0 de l’onde incidente, mais elle s’atténue très vite pour revenir à I0 à 1,2 µm au-dessus de l’interface.

La détection se fait par microscopie optique. Le fait de ne prendre en compte que les points lumineux se déplaçant sous l’action du déplacement de l’aimant permet de distinguer les substances recherchées du reste de l’image ; on élimine ainsi  une grande partie du  bruit optique. Le domaine de détection de ce nouveau bio-senseur n’est pas une surface mais un espace libre près de celle du fond de la cuve. Ceci présente en outre l’avantage d’éviter que l’adsorption par la surface de contaminants perturbe le dosage. L’ensemble SiO2-Si-SiO2 constitue le senseur optique du système.  La surface explorée par le microscope est d’environ 2,5 mm x 2 mm. La Fig.1 ci-dessous schématise le dispositif.

Fig.1. Détection à haute sensibilité de substances biologiques
a) Schéma du système complet.
La lumière fournie par une lampe au xénon suivie d’une optique de collimation, d’une fibre optique et d’un polariseur attaque un prisme en SiO2 de façon à ce que l’angle d’incidence sur l’interface SiO2-Si soit de 67,6°. Ceci correspond, pour une polarisation perpendiculaire au plan d’incidence, à un maximum d’intensité pour la longueur d’onde λ= 544 nm. Un microscope équipé d’un caméra CCD constitue l’unité de détection.
b) Détail du mécanisme de détection. La particule C est la substance cible, la particule M est le grain d’anticorps magnétique, et la particule O le grain origine du signal optique. La région en rouge dégradé est celle où est générée l’augmentation d’intensité lumineuse.
Reproduit de Detection of Extremely Low Concentrations of Biological Substances Using NearField Illumination, Masato Yasuura & Makoto Fujimaki
Scientific Reports | 6:39241, 19 december 2016 CCA 4.0

L’aimant latéral permet de mettre en mouvement les « sandwiches »constitués par la substance cible C entre les grains M et O. Le deuxième aimant placé sous le prisme les attire vers la paroi du fond de la cuve en SiOoù l’intensité de la lumière est renforcée.

Le test de la méthode de détection

Des  pseudo-particules virales de Norovirus ont servi de cibles dans un dosage avec le système précédent.  Le Norovirus, responsable de gastro-entérites, est très infectieux et la dose minima infectieuse est inférieure à 20 particules virales par personne.  On voit donc l’intérêt pour le diagnostic d’une méthode de détection de sensibilité élevée.

Les pseudo-particules virales (PPV, en anglais  Virus-like particles, VLP) sont des particules virales sans acide nucléique, le génome, obtenues par l’assemblage spontané de protéines de la  capside (structure protéique qui entoure le génome) du virus.

Les grains magnétiques M et les grains optiques O sont recouvert respectivement de deux anticorps différents du VLP.
Comme on a observé des images de points brillants en mouvement à une concentration aussi faible que 40 particules par 100 µl (vidéo ci-dessous), on peut affirmer que le senseur détectera le  norovirus pour des concentrations supérieures ou égales à celle-ci. . L’augmentation d’intensité lumineuse est encore percevable à ~1 µm du senseur optique en fond de cuve. Ceci entraîne une  diffusion efficace de la lumière par les grains O en polystyrène de 500 nm de diamètre. On détecte ainsi des « sandwiches » M-VLP-O flottant près de la surface du senseur optique.
La vidéo suivante montre un exemple de détection par cette méthode.
[jwplayer mediaid= »22802″] Vidéo de la surface du senseur optique durant la détection de 40 particules par 100 µl de VLP de norovirus.
Le champ magnétique est appliqué à partir du côté supérieur gauche de l’écran.  On observe deux points brillants qui se déplacent et un point brillant qui disparaît. Le clignotement d’autres points de l’écran est dû au mouvement brownien.
Reproduit de Detection of Extremely Low Concentrations of Biological Substances Using NearField Illumination, Masato Yasuura & Makoto Fujimaki
Scientific Reports | 6:39241, 19, S.I.,december 2016  CCA 4.0
 
 
Les scientifiques ont réalisé la même  détection de VLP de norovirus à la même concentration mais dans des eaux usés après traitement qui contiennent de nombreux contaminants. Le résultat est positif comme en fait foi la vidéo suivante
[jwplayer mediaid= »22803″]
Vidéo de la surface du senseur optique durant la détection de 40 particules par 100 µl de VLP de norovirus dans de l’eau usée après traitement.
Le champ magnétique est appliqué à partir du côté supérieur gauche de l’écran. 
On observe un point brillant se déplaçant  dans la direction du champ et un point brillant disparaissant lors de l’application du champ magnétique.
Reproduit de Detection of Extremely Low Concentrations of Biological Substances Using NearField Illumination
Masato Yasuura & Makoto Fujimaki
Scientific Reports | 6:39241, S.I., 19 december 2016  CCA 4.0

Ces résultats indiquent que ce biosenseur peut détecter le norovirus même dans des eaux contaminées. Ses possibilités sont supérieures à celles des techniques conventionnelles.
Ce dosage « sandwich » ne requiert que deux étapes :
1- le mélange de l’échantillon de liquide à doser avec les grains recouverts d’anticorps.
2-l’injection de ce mélange dans la cellule de dosage
avant l’enregistrement des images.
La cuve n’a pas besoin d’être  nettoyée puisque les interactions antigènes-anticorps ont lieu dans la solution et non sur la surface du fond de cuve.
Le temps de réaction en est aussi raccourci.
Comme le senseur optique n’est pas le siège d’absorption de substances cibles, il peut servir à maintes reprises.
En dépit de la simplicité de ce bio-senseur, on a vu qu’il pouvait détecter des contaminations virales extrêmement basses, même dans un échantillon d’eau contaminée. Il semble promis, si des travaux ultérieurs ajoutent un caractère quantitatif à la méthode, à devenir une technique centrale de la bio-détection.

Pour en savoir plus :
Detection of Extremely Low Concentrations of Biological Substances Using NearField Illumination, Masato Yasuura & Makoto Fujimaki
Scientific Reports | 6:39241, 19 december 2016