Au Pôle Sud, un glaçon d’un Km3 pour détecter les neutrinos

Le 18 décembre 2010, a été mis en service au pôle Sud un extraordinaire détecteur à neutrinos, l’Ice Cube [1],[2], constitué par un cube de glace de un kilomètre de côté dans lequel sont installés par forages verticaux plus de 5000 tubes photomultiplicateurs (détecteurs de photons) à des profondeurs allant de 1450 à 2450 mètres. Cette profondeur inouïe est nécessaire pour que la pression empêche la présence de bulles d’air qui pertuberaient la détection.

Plan actuel du détecteur de neutrinos IceCube avec 5160 senseurs optiques occupant un kilomètre cube de glace naturelle. Les signaux détectés par chaque élément sont transmis à la surface par les 86 câbles auxquels sont attachés en chapelets les détecteurs. Crédit Francis Halsen

Plan actuel du détecteur de neutrinos IceCube avec 5160 senseurs optiques occupant un kilomètre cube de glace naturelle. Les signaux détectés par chaque élément sont transmis à la surface par les 86 câbles auxquels sont attachés en chapelets les détecteurs. Crédit Francis Halsen

La désintégration d’éléments radioactifs ou de particules élémentaires peut produire des neutrinos. Ces particules de très faible masse, qui ne portent pas de charge électrique, ont une très faible interaction avec la matière. Ceci rend très difficile leur détection. En revanche, les neutrinos peuvent, une fois émis, traverser l’univers sans subir de déviations. Ils ne sont pas déviés par les champs magnétiques interstellaires ni absorbé par la matière sur leur trajet. Ils permettent donc d’observer des événements cosmiques  qui ne pourraient l’être  avec des photons sensibles aux champs électromagnétique et à l’attraction gravitationnelle.

Où les neutrinos remplacent les photons

Ces neutrinos si insaisissables, il  faut, pour en collecter un nombre statistiquement suffisant  mettre en œuvre d’immenses détecteurs de particules. Et ceci est vrai aussi bien pour les neutrinos produits par l’interaction des rayons cosmiques avec les photons du rayonnement du fond du ciel que pour ceux émis par des explosions de supernova ainsi que par les sursauts gamma dans de  lointaines galaxies et les violents phénomènes d’interaction entre trous noirs et les étoiles dites étoiles à neutrons.
Lors de la collision  si rare d’un neutrino avec un atome de la  glace, il est créé une particule nommée « muon ». Le déplacement de ce muon dans la glace engendre par un effet dénommé effet Cerenkov une lumière bleue qui est détectée par le système.
A partir de cette lumière les détecteurs optiques  sont  capables de mesurer non seulement l’énergie du neutrino, mais aussi sa direction et son sens avant la collision.
Ce qui fait de l’IceCube un véritable télescope astronomique dans lequel les neutrinos remplacent les photons!

Où la Terre joue le rôle de filtre

Malheureusement,  IceCube pourrait aussi détecter les millions de muons produits  par les collisions des rayons cosmiques avec les atomes de l’atmosphère. Pour s’affranchir de  ceux-ci, on utilise  le fait que les neutrinos interagissent si faiblement avec la matière. Comme ce sont les seules particules qui peuvent traverser la Terre sans quasiment d’interaction, le télescope installé au pôle Sud que constitue IceCube est braqué  vers le pôle Nord. Il ne détectera donc que les particules ayant pu traverser la Terre, c’est-à dire des neutrinos. Il utilise ainsi la Terre entière comme filtre.
L’objectif du projet est de d’observer via les neutrinos les événements astrophysiques les plus violents comme les explosions d’étoiles, les « bouffées » de rayons gamma et des phénomènes d’envergure mettant en jeu trous noirs et étoiles à neutrons. Enfin ce système constitue un puissant outil pour la recherche de la matière noire et il pourrait révéler de nouveaux mécanismes physiques associés à l’énigme de l’origine des particules de plus haute énergie présentes dans la nature.


[1] http://www.icecube.wisc.edu/info/
[2] Francis Halsen & Spencer R.Klein, Rev. of Sc. Instruments  81, 081101 _2010_