Des globules blancs enrôlés à l’assaut d’un des plus dangereux cancers

On ne connaît pas jusqu’ici de traitement efficace de l’adénocarcinome ductulaire pancréatique, forme particulièrement dangereuse du cancer du pancréas.

Image d’un macrophage. Grossissement 3500. Crédit AP.

Mais une étude récente vient d’ouvrir une voie nouvelle et inattendue pour permettre à un traitement de s’infiltrer à travers les formidables défenses tissulaires que déploie ce cancer. La tumeur pancréatique construit autour d’elle un réseau  tissulaire conjonctif, le stroma, sorte de coquille qui fait barrage au passage de tout produit pharmaceutique.
Une équipe de l’Université de Pennsylvanie dirigée par l’immunologiste Robert Vonderheide, a imaginé d’activer des cellules immunitaires pour ouvrir des brèches dans le stroma. Ces cellules pourraient alors s’attaquer à la tumeur elle-même.

Les tissus conjonctifs sont des tissus dont les cellules sont séparées par de la matrice extracellulaire, qui est elle-même composée de fibres (collagène, réticuline ou élastine) et de substance fondamentale, ensemble de protéines (et d´acide hyaluronique) sur lequel se fixent les sels minéraux

Ces chercheurs ont choisi d’utiliser comme activateur une protéine appelée CD 40, bien connue pour activer les cellules immunitaires dites cellules T ou lymphocites T.
Leurs  essais cliniques ont porté sur des humains et des souris. Les cellules immunitaires ont effectivement attaqué l’enveloppe tissulaire des tumeurs ainsi que ces dernières.
Les chercheurs ont été surpris de voir sur les biopsies des tumeurs qu’il n’y avait pratiquement pas de cellules lymphocites T, comme attendu, mais au contraire des macrophages,  globules blancs beaucoup plus primitifs et courants.

Les globules blancs, appelés également leucocytes, sont des cellules du sang humain contenant un noyau. Ils jouent essentiellement un rôle dans la défense de l’organisme contre les agents étrangers. On distingue les mononucléaires (lymphocytes et monocytes) des polynucléaires. Les macrophages sont issus de la transformation des monocytes après le passage de ceux-ci du flux sanguin dans les tissus.

 

A l’assaut de la barrière tissulaire

C’est cette coquille tissulaire très dure entourant les tumeurs des cancers pancréatiques qui est responsable du mauvais pronostic de ceux-ci. Les médicaments ne peuvent pratiquement pas la traverser; de plus elle emprisonne aussi des globules blancs qui ne sont plus libres de prévenir le système immunitaire de lancer une attaque contre le cancer.
Ce qui est remarquable dans cette étude, c’est que le résultat, bien que positif,  est différent de celui que les chercheurs espéraient. Ils voulaient, à l’origine, contrer l’action immuno-suppressive de la coquille tissulaire par l’utilisation de la protéine CD 40. Comme celle-ci est connue pour activer les lymphocytes T qui peuvent attaquer les tumeurs,  ils pensaient que ces derniers parviendraient à franchir la barrière tissulaire et à attaquer la tumeur.
L’essai clinique fut tenté sur 21 patients qui se virent administrer outre la gemcitabine, chimiothérapie classique  de ce type de cancer, un anticorps spécifique activant la protéine CD 40.
Les 21 patients eurent une survie moyenne plus élevée de plusieurs semaines que celle observée  avec le traitement à la gemcitabine seule. Sur deux patients on put observer sur biopsie une réduction des tumeurs et on trouva  celles-ci  remplies de macrophages, mais vides de lymphocites T.

Des souris génétiquement modifiées présentent un cancer analogue

Pour comprendre le mécanisme de régression de la tumeur sous l’effet de CD 40,
les chercheurs ont alors utilisé des souris génétiquement modifiées pour développer un cancer analogue à l’adénocarcinome pancréatique ductulaire humain.
A un groupe témoin de souris non traité, ils comparèrent  des groupes  traités  avec la gemcitamine et un anticorps activateur de CD 40 adapté à la souris et d’autres groupes traités avec la gemcitamine seule et  l’anticorps seul. Les tumeurs régressèrent de 30 % chez les souris traitées avec l’anticorps, qu’elles aient reçu de la gemcitamine ou non.
En analysant les systèmes immunitaires des souris et leurs tumeurs, les chercheurs parvinrent aux conclusions suivantes : les anticorps avaient bien activé des lymphocites T mais ceux-ci étaient, pour une raison inconnue, restés dans les ganglions lymphatiques et n’avaient pas migré vers les tumeurs où l’on trouvait en revanche beaucoup de macrophages  présents aussi autour de la barrière tissulaire qui  commençait à se creuser et à se décomposer.
Ces résultats montrent que l’attaque de la tumeur peut être gouvernée par le seul  système immunitaire de l’organisme déclenché par le CD 40. Ils ouvrent la voie à la recherche de stratégies thérapeutiques nouvelles ayant pour cible les cellules inflammatoires et le stroma au plus près de la tumeur cancéreuse.
En savoir plus :
Nature News (24 March 2011) doi:10.1038; Beatty, G. L. et al. Science 331, 1612-1616 (2011)