Un polymère électrochrome qui peut afficher toutes les couleurs!

Avec leurs couleurs brillantes et leurs processus aisés de préparation à température ambiante, les polymères électrochromes ont été de bons candidats pour la réalisation de dispositifs d’affichage flexibles et de basse consommation. Mais leurs temps de commutation lents et le fait de devoir utiliser au moins trois polymères différents pour avoir une gamme de couleurs ont limité leur utilisation à de rares applications.
Des scientifiques de la Nanjing University, Nanjing, China, du National Institute of Standards and Technology (NIST), Maryland, USA, de l’University of Maryland, USA et du Sandia Laboratory, Livermore, Ca, USA ont réussi à obtenir une commutation optique très rapide à fort contraste avec un polymère électrochrome grâce à l’utilisation d’électrodes à nano-fentes parallèles. En outre le pas des nano-fentes sélectionne la longueur d’onde, permettant ainsi d’utiliser un seul polymère pour obtenir les couleurs nécessaires.

Une espèce chimique est qualifiée d’électrochrome si elle peut changer de couleur de manière réversible par application d’un champ électrique. Cette propriété d’électrochromisme est liée à une réaction d’oxydoréduction.

Dans la configuration jusqu’ici utilisée dans les dispositifs électrochromes (Fig. 1b), une électrode applique le champ électrique sur une couche de polymère plongée dans une  solution transparente d’électrolyte. Pour avoir un contraste élevé, il faut une couche de polymère suffisamment épaisse, mais cela augmente d’autant le temps de commutation. Un affichage couleur exige en outre au moins trois couches de polymères différents, ce qui augmente coût et complexité et diminue le contraste.
Les avancées des techniques de nano-fabrication et de caractérisation optique ont conduit à utiliser dans des dispositifs photoniques et optoélectroniques des plasmons polaritons de surface (SPP, acronyme de l’anglais).

On appelle « polaritons »  des quasi-particules issues du couplage entre une onde lumineuse et une onde de polarisation électrique. Dans un métal, l’onde de polarisation est un « plasmon », oscillation mécanique collective du nuage électronique du métal. L’onde lumineuse, de fréquence très élevée, ne peut pénétrer dans le métal mais le couplage peut avoir lieu à l’interface métal/diélectrique. Une telle onde de surface est appelé « plasmon polariton de surface ».

Le contrôle plasmonique d’une lumière monochromatique

En excitant des plasmons polaritons de surface par une électrode dite « plasmonique »  munie de nanofentes parallèles et d’écart (le pas) constant ( Fig.1.a), les chercheurs ont obtenu avec un contraste élevé une commutation rapide entre transmission et absorption de la lumière d’un laser He-Ne (λ=632, 8 nm). Ceci en utilisant des couches minces d’un polymère électrochrome, la polyaniline (PANI).
Une tension appliquée à l’électrode peut faire entrer des électrons (du métal) dans le polymère réalisant une réduction de celui-ci; une tension de signe opposé peut extraire les électrons du polymère, réalisant une oxydation de celui-ci. Comme l’absorption de la lumière par le  polymère dépend de son état oxydé ou réduit, on obtient ainsi un contrôle de la transmission ou de l’absorption d’une onde lumineuse.

Fig.1. Electrodes plasmoniques à fentes. a)Schéma d'une électrode plasmonique à nanofentes en or. Le pas des rangées de fentes est ici de 500 nm (0,5 µm). La largeur des fentes est de 60 nm. b) Schéma d'une électrode conventionnelle réalisé avec les mêmes constituants pour comparaison avec l'électrode plasmonique. c) Structure chimique du polymére PANI sous sa forme réduite(en haut) et sa forme oxydée (il manque un électron sur deux atomes d'azote N). Le champ électrique appliqué entraîne le basculement d'un état à l'autre. d) Images au microscope électronique à balayage (MEB) de l'électrode à nanofentes avant le dépôt de PANI. e) Images du même objet après dépôt de PANI. f) Image de e agrandie. Crédit Nature Communications. Creative Commons BY

Fig.1. Electrodes plasmoniques à fentes.
a) Schéma d’une électrode plasmonique à nanofentes en or. Le pas des rangées de fentes est ici de 500 nm (0,5 µm). La largeur des fentes est de 60 nm.
b) Schéma d’une électrode conventionnelle réalisé avec les mêmes constituants pour comparaison avec l’électrode plasmonique.
c) Structure chimique du polymére PANI sous sa forme réduite(en haut) et sa forme oxydée (il manque un électron sur deux atomes d’azote N). Le champ électrique appliqué entraîne le basculement d’un état à l’autre.
d) Images au microscope électronique à balayage (MEB) de l’électrode à nanofentes avant le dépôt de PANI.
e) Images du même objet après dépôt de PANI.
f) Image de e agrandie d’un facteur 3.
Crédit Nature Communications. Creative Commons BY

 
En envoyant de la lumière monochromatique sur un polymère PANI muni d’une électrode , on peut mesurer sa transmission selon  la tension appliquée à l’électrode. Pour une couche de PANI d’épaisseur 25 nm, on obtient une transmission (ON) avec une tension d’électrode de -0,2 V et une absorption (OFF) avec une tension de +0,3 V. Le contraste est 4 fois plus élevé avec l’électrode à nanofentes qu’avec l’électrode conventionnelle, le temps de commutation est 60% plus court.

La commutation électro-chromique plasmonique en couleurs

Les électrodes à nanofentes en or ont le défaut de ne fonctionner efficacement que pour des longueurs d’onde proche du rouge parce que la propagation des SPP le long des surfaces d’or a des pertes qui augmentent aux fréquences supérieures. En outre, l’or est très onéreux.
La solution pour surmonter ces difficultés a été d’utiliser à la place de l’or de l’aluminium recouvert d’une couche fine du polymère électrochrome PolyProDOT-Me2 (poly(2,2-diméthyl-3,4 propylènedioxythiophène). Ce polymère présente une absorption optique à large bande et permet une commutation rapide sur  tout le domaine visible.
C’est l’intervalle entre les fentes, le pas, qui fixe la longueur d’onde, donc la couleur, transmise (ON) ou absorbée (OFF) par la couche électrochrome. A la différence de la structure monochromatique à nanofentes d’or décrite plus haut, on a rajouté sous la rangée de nanofentes une couche de 170 nm de Si3N4 qui augmente la finesse de la sélection de couleur par les nanofentes.
La figure suivante présente le schéma de ce système polychromatique.

Fig.2. Electrode plasmonique pour imagerie en couleurs a)Schéma d'une électrode plasmonique à nanofentes en aluminium. Le pas des rangées de fentes varie de 240 nm à 390 nm par saut de 30 nm.). La largeur des fentes est de 70 nm. L'épaisseur du PolyProDOT-Me2 est de 15 nm. b) Structure chimique du PolyProDOT-Me2 sous ses formes réduites et oxydées. Le symbole Me représente le radical méthyle CH3- . c) Spectre optique de transmission des nanofentes en Al munies d'une couche de PolyProDOT-Me2. Les valeurs du pas entre fentes sont P= 240, 270, 300, 330, 360 et 390 nm. En face de chaque spectre de transmission figure la micrographie en transmission de la surface du dispositif dans les deux états ON (Von=0,2V, transmission ) et OFF (Voff =- 0,6 V, absorption). Crédit Nature Communications. Creative Commons BY

Fig.2. Electrode plasmonique pour imagerie en couleurs
a) Schéma d’une électrode plasmonique à nanofentes en aluminium. Le pas P des rangées de fentes varie de 240 nm à 390 nm par saut de 30 nm.). La largeur des fentes est de 70 nm. L’épaisseur du PolyProDOT-Me2 est de 15 nm.
b) Structure chimique du PolyProDOT-Me2 sous ses formes réduites et oxydées. Le symbole Me représente le radical méthyle CH3- .
c) Spectre optique de transmission des nanofentes en Al munies d’une couche de PolyProDOT-Me2. Les valeurs du pas entre fentes sont P= 240, 270, 300, 330, 360 et 390 nm. En face de chaque spectre de transmission figure la micrographie en transmission de la surface du dispositif dans les deux états ON (Von=0,2V, transmission ) et OFF (Voff =- 0,6 V, absorption).
Crédit Nature Communications. Creative Commons BY

Les électrodes plasmoniques réalisées  ont des dimensions latérales de 10 µm, ce qui permet d’avoir des pixels commutables d’environ un à deux ordres de grandeur plus petits que ceux des écrans à haute définition actuels.
 
La vidéo suivante représente la commutation en temps réel de la lumière rouge transmise à travers  une matrice de 10×10 rangées de nanofentes  en or(chaque rangée  mesurant 10 µm x 10 µm) quand la tension appliquée oscille périodiquement entre Von et Voff. Le polymère utilisé est le PANI.
[jwplayer mediaid= »21755″] Crédit Nature Communications. Creative Commons BY.

Les rangées de nanofentes métalliques en or et  en aluminium munies de couches de polymères électrochromes constituent des électrodes qui augmentent considérablement les performances des polymères en ajoutant à la rapidité de transport des films ultra-fins une forte absorption jusqu’ici l’apanage des films épais. La géométrie élégante et simple de ces configurations peut être adaptée à de grandes surfaces qu’on pourrait produire sur un support flexible par des techniques de nano-impression lithographique ou d’impression par transfert.
Outre les applications aux dispositifs d’affichage, cette technique pourrait être exploitée pour tout matériau photosensible dont les propriétés dépendent de l’épaisseur du film. On pense aux effets photovoltaïques et à la catalyse.

Pour en savoir plus :
High-contrast and fast electrochromic switching enabled by plasmonics
Ting Xu, Erich C. Walter, Amit Agrawal, Christopher Bohn, Jeyavel Velmurugan, Wenqi Zhu, Henri J. Lezec & A. Alec Talin.
Nature Communications 7, doi:10.1038/ncomms10479, 27 Jan 2016