Un unicellulaire qui acquiert un savoir et le transmet !

Le blob*, Physarum polycephalum, cellule géante que l’on peut rencontrer dans les bois sous la forme d’une moisissure gluante jaune, est doué d’étranges propriétés. Des biologistes du Centre de Recherches sur la cognition animale, CNRS/Université Toulouse III-Paul Sabatier, qui avaient déjà montré que ce protiste était capable d’apprentissage, viennent de montrer qu’il pouvait transmettre  son “ savoir “ à un autre blob par fusion avec ce dernier.
Physarum polycephalum est un eucaryote unicellulaire à multiples noyaux. Il se présente sous la forme d’une moisissure visqueuse de couleur généralement jaune. Il se nourrit de champignons et de bactéries mais apprécie beaucoup les flocons d’avoine dont on l’alimente au laboratoire. Il est capable de mouvements lents (vitesse maxima de 4 cm par heure) qui se font par écoulements de cytoplasme. Il peut atteindre une taille de dix mètres carrés dans la nature, dans des endroits humides, froids et à l’ombre comme les feuillus et les tas de bois en forêt.

Les protistes sont des eucaryotes unicellulaires qui constituent l’un des six règnes du vivant selon la biologie. On appelle eucaryote tout organisme, uni ou multicellulaire qui possède au moins un noyau, par opposition aux procaryotes qui n’en possèdent aucun.

La photographie ci-dessous représente un tel blob en forêt.

Fig.1. Photographie d’un exemplaire de Physarum polycephalum
dans la nature
Crédit National Human Genome Institute.

* Le nom blob provient du titre d’un film américain de science fiction de 1958 où un extra-terrestre en forme d’énorme masse gluante sème la terreur dans une petite ville.

L’ apprentissage (ou habituation)  du blob

L’habituation, une des plus simples formes d’apprentissage consiste à obtenir une décroissance de la réponse à une stimulation anormale répétée.
Les biologistes toulousains ont cultivé  Physarum polycephalum dans de grandes (Φ145 mm) boîtes de Petri sur un gel à 1% d’agar-agar contenant 10% de flocons d’avoine, qui constitue un substrat nourrissant.

L’agar-agar est un polymère d’un sucre, le galactose. Il est contenu dans certaines algues rouges d’où on l’extrait. On l’utilise pour gélifier de nombreux produits alimentaires. Il permet de réaliser des milieux gélifiés adaptés à la culture in vitro de microorganismes.

On prélève sur ces cultures, à l’aide d’un emporte-pièce, des pastilles de blob de 2 mm d’épaisseur et 18mm de diamètre. On les transfère alors dans d’autres boîtes de Petri contenant un substrat formé d’un gel  à 1% d’agar-agar sans substance nutritive.
On connecte alors ces pastilles  de blob avec des pastilles de gel nourrissant de même taille. Cette connexion s’effectue  à l’aide d’un pont de gel à 1% d’agar-agar non nourrissant (épaisseur 2mm, longueur  13 mm, largeur 15mm, voir Fig.3.b) . La substance gluante de chaque pastille explore le pont en y envoyant des pseudopodes. Quand elle a trouvé l’aliment, elle quitte sa position initiale en moins de 24H pour aller consommer la pastille d’aliment. Pour effectuer les expériences d’habituation proprement dites, on transfère  ensuite ces pastilles de blob  sur de nouveaux supports.
Le processus  d’habituation consiste à refaire l’expérience  précédente, mais avec des ponts d’agar-agar contenant  de la quinine, de la caféine ou du sel. Ces substances agissent comme répulsif vis-à vis du blob.  Et en 5 jours chaque pastille de blob va s’habituer à traverser le pont répulsif (Fig.2. ci-dessous).

Fig.2. Habituation d’une pastille de blob à un pont à la quinine
Photographies d’une pastille de blob placée contre un pont d’agar-agar avec répulsif. Sur l’autre côté du pont est collée une pastille de nourriture..
Au bout de 5 à 6 jours le blob de la pastille a envoyé un pseudopode à travers le pont répulsif sur la nourriture.
Crédit Audrey Dussutour

 
On a  alors séparé les pastilles de blob « habituées » en deux groupes : on a connecté des pastilles de nourriture, à l’un par des ponts avec répulsif, à l’autre par des ponts d’agar-agar ordinaires. Les temps pour traverser les ponts ont été du même ordre pour les deux groupes.
Cela montre qu’on a bien obtenu une habituation à traverser les ponts à la quinine pour ces organismes sans neurones. Et on obtient le même résultat avec la caféine, la quinine ou le sel ordinaire (NaCl).

La transmission de l’habituation

Deux pastilles de blob mises en contact peuvent fusionner. Une deuxième série d’expériences a consisté à explorer si des pastilles habituées à franchir des ponts répulsifs pouvaient transmettre par fusion cette propriété à d’autres pastilles de blog.
La vidéo  ci-dessous montre la fusion de deux pastilles.
[jwplayer mediaid= »22351″]  On remarque les veines qui s’installent et attestent la réalité de la fusion.                      Crédit Audrey Dussutour
Des pastilles de blob sont habituées à un répulsif (NaCl) en 5 jours de la manière vue plus haut tandis que d’autres pastilles identiques sont élevées sans répulsif. Le 6éme jour, on place des paires de pastilles habituées (H) au répulsif de part et d’autre de pastilles  (N) non habituées. On leur laisse une heure pour fusionner.
On place alors les nouvelles entités  de 3 pastilles ainsi obtenues contre des ponts d’agar-agar avec répulsif. Le tout est placé contre des pastilles de nourriture aux flocons d’avoine (Fig.3. ci-dessous). On observe que les pastilles non habituées envoient bien un pseudopode vers la nourriture à travers le pont répulsif.

Fig.3. Transmission d’un comportement appris
a) On a fait se fusionner deux pastilles (notées H) habituées au pont d’agar-agar salé avec une pastille non habituée (notée N). La fusion, que l’on voit agrandie dans l’insert s’est effectuée en une heure.
On place ensuite l’ensemble de trois pastilles comme indiqué sur le schéma b.
b) Ce schéma indique les tailles et les positions des pastilles de blob et des ponts d’ agar-agar utilisés.
Crédit Audrey Dussutour

La fusion cellulaire  est un  processus important de la physiologie des organismes vivants, plantes, champignons, protistes ou animaux. Alors qu’elle est relativement rare et ne concerne que des cellules particulières chez les animaux, elle est essentielle chez la plupart des champignons à filaments et des moisissures visqueuses. Les chercheurs toulousains ont pu mettre en évidence une nouvelle propriété de la fusion : la transmission d’un comportement appris d’une cellule à une autre.

Pour en savoir plus :
Direct transfer of learned behaviour via cell fusion in non-neural organisms
David Vogel and Audrey Dussutour
Proceedings of the Royal Society B, 283: 20162382., December 21, 2016

Habituation in non-neural organisms: evidence from slime moulds
Romain P. Boisseau, David Vogel and Audrey Dussutour
Proceedings of the Royal Society B, 283: 20160446, April 27, 2016